3-4-1/ Spécificités de la recherche d’informations des conducteurs novices

Pour comprendre le comportement visuel des conducteurs, les analyses sont traditionnellement effectuées au travers de deux axes d’exploration : un axe vertical et un axe horizontal. Ces méthodes d’investigation permettent de couvrir toutes les zones de regards susceptibles d’être surveillées par les conducteurs et d’apporter des éléments précis sur les stratégies visuelles propres à chacun. Ainsi, sur l’axe vertical l’exploration perceptive des conducteurs novices ne diffère pas significativement de celle des conducteurs expérimentés aussi bien en termes de durée que de variations de regards. En revanche sur l’axe horizontal, un effet d’expérience sur la recherche d’information est observé avec, entre autre, une exploration perceptive hésitante lors des premiers mois de pratique. A ce stade, les conducteurs novices présentent des difficultés pour diriger leur recherche d’informations (grands mouvements de tête et des saccades oculaires de grande amplitude) et pour différencier les éléments perçus. Pour ces conducteurs, les informations ne sont pas hiérarchisées selon leur pertinence dans une situation donnée.

Concrètement, les premiers parcours effectués sont caractérisés par une absence de stratégie de recueil d’informations (Deery, 1999). L’exploration visuelle est non organisée, les conducteurs novices ne savent pas étendre leur recherche d’informations et se concentrent essentiellement sur les zones proches du véhicule (Deery, 1999). Le balayage de la scène routière des conducteurs novices est inefficace (Deery, 1999; Falkmer & Gregersen, 2001). Underwood et al. (2003) ont identifié des regards « fixes » principalement vers l’avant du véhicule, maintenus par l’étroitesse de la zone de balayage visuel. L’absence de stratégies de prélèvement d’informations peut être liée au fait que les conducteurs novices utilisent mal leur vision périphérique pour optimiser leur recherche d’information (Deery, 1999; Mourant & Rockwell, 1972). Pour Chapman et Underwood (1998), lorsque le trafic est dense, seuls les conducteurs expérimentés procèdent à un balayage actif de la scène routière, qui leur permet de surveiller l’ensemble des zones environnantes. Ainsi, les nombreuses fixations en direction des bordures de la chaussée chez les conducteurs novices sont souvent interprétées comme une impossibilité d’utiliser la vision périphérique pour gérer le positionnement du véhicule ou encore pour le contrôle de la trajectoire (Mourant & Rockwell, 1972 ; Summala et al. 1996).

Lorsqu’une situation de conduite se complexifie, la recherche d’information des conducteurs novices est inappropriée. Les fixations sont plus longues que celles des conducteurs expérimentés. Plus les fixations sont longues et plus le temps consacré au traitement des informations sera long (Chapman & Underwood, 1998). Pour Chapman et al. (2002) les caractéristiques des stratégies visuelles de ces conducteurs entraînent des difficultés à s’adapter aux fluctuations des situations notamment si l’environnement n’est pas familier ou est complexe. Seule la familiarité avec l’environnement permet une adéquation de la stratégie d’exploration aux exigences de la tâche. Une bonne connaissance antérieure de l’environnement de conduite et des sources potentielles de danger permettront un traitement plus rapide des informations afin d’évaluer si elles sont pertinentes ou non (Chapman et al. 2002).

De plus, les conducteurs novices perçoivent les éléments petit à petit et indépendamment du contexte alors que les conducteurs expérimentés ont une perception holistique des informations présentes dans l’environnement routier (Milech, Gleencross, & Hartley, 1989). Un conducteur novice identifie une situation comme dangereuse sur la base d’une seule caractéristique. Toutes les situations présentant cette caractéristique, préalablement identifiée comme potentiellement dangereuse, sont considérées comme dangereuses. En revanche, un conducteur expérimenté perçoit les situations sur la base de multiples caractéristiques, ce qui lui permet de définir des degrés de dangerosité des situations. On considère que les conducteurs expérimentés intègrent plus rapidement l’information et le risque est considéré comme un attribut global de l’environnement routier (Benda & Hoyos, 1983).

Pour vérifier et mettre en évidence la relation entre l’acquisition des connaissances et le mode de recherche visuelle, Underwood et al. (2002b) ont fait l’hypothèse selon laquelle les novices tendent à regarder droit devant car ils ne sont pas conscients de la nécessité de construire un modèle mental des intentions des autres usagers. Pour cela, deux groupes de conducteurs, des expérimentés et des novices, ont effectué une expérimentation en laboratoire avec pour support des séquences vidéos. La tâche de contrôle du véhicule a été supprimée et les séquences étaient dynamiques afin de permettre un enregistrement des mouvements oculaires. Les participants devaient appuyer sur un bouton dès qu’ils jugeaient qu’une situation potentiellement dangereuse était susceptible d’arriver. Les expérimentateurs sont partis du principe que les conducteurs novices restreignaient leur recherche visuelle car ils allouaient leurs ressources attentionnelles au contrôle du véhicule. Dans cette expérimentation, l’élimination de la composante « contrôle du véhicule » a permis de montrer si la recherche d’information était similaire que le conducteur soit novice ou expérimenté. Les résultats révèlent des inspections différentes en fonction de l’expérience de conduite. Les novices semblent manifester certaines difficultés à balayer la scène routière. Underwood et al. (2002b) concluent à une inspection différente selon le type de conducteurs. Pour ces auteurs ces résultats sont davantage liés à un faible développement des modèles mentaux qu’à une capacité mentale limitée. Les deux groupes de conducteurs ont une compréhension différente de la scène routière. En conclusion, ce n’est pas le besoin de contrôle du véhicule qui réduit l’exploration visuelle des novices : plus un conducteur est compétent et plus il balaye largement la scène routière.

Si l’on se réfère aux théories de l’attention, la différence de recherche d’information entre conducteurs novices et conducteurs experts peut s’expliquer par l’action d’un filtre cognitif qui sélectionne ou non l’information pertinente (Rumar, 1985). Chez les conducteurs expérimentés, ce filtre rejette les informations non pertinentes alors que chez les conducteurs novices le filtre n’est pas aussi efficace. La sélection est moindre et moins d’informations sont rejetées (McDonald & Hoffmann, 1991). Cette non-sélection est surtout le résultat du fait qu’ils ne savent pas ce qu’il est important de regarder. Les sujets expérimentés font moins de fixations que les sujets débutants. Le nombre d’objets ou de zones fixées diminuent avec l’apprentissage. La concentration des fixations sur les zones pertinentes du champ traduit une recherche sélective des indices perceptifs.