Niveaux hiérarchiques de l’activité de conduite (Michon, 1985)

Pour faire parler les items identifiés dans la grille d’analyse du comportement, nous les avons regroupées d’après le modèle de Michon (1985) afin de vérifier l’impact de la conversation téléphonique selon deux niveaux hiérarchiques de l’activité de conduite : les niveaux tactique et opérationnel (Michon, 1985).

L’analyse globale révèle un impact de la conversation téléphonique au niveau tactique qui se traduit par une qualité moindre de la recherche d’informations et par une baisse de la qualité des jugements effectués. Cela suggère que la conversation téléphonique rend difficile la compréhension des situations dans lesquelles les conducteurs évoluent. La qualité du traitement des informations prélevées au niveau des rétroviseurs et au niveau de la zone proche de l’intersection est amoindrie et les prises de décisions en sont affectées. Les tâches nécessitant un contrôle cognitif et par conséquent une importante quantité de ressources attentionnelles sont mis à défaut. En revanche, les tâches effectuées automatiquement et demandant peu de contrôle attentionnel ne semblent pas perturbées par la conversation téléphonique. Cela confirme les données de la littérature et met en avant le fait que la réalisation de la tâche ajoutée entre en concurrence avec l’activité de conduite à un haut niveau de traitement des informations.

Nous avions également émis l’hypothèse selon laquelle on observerait un effet de l’expérience de conduite aussi bien au niveau tactique qu’au niveau opérationnel avec de meilleures performances pour les conducteurs expérimentés. Ces résultats seraient visibles aussi bien en situation de simple tâche et de double tâche.Nos données nous permettent de valider partiellement cette hypothèse. Nous avons relevé un effet d’expérience au niveau opérationnel contrairement aux données de la littérature selon laquelle l’inexpérience des conducteurs novices a été démontrée aussi bien au niveau tactique qu’au niveau opérationnel (Matthews & Mouran, 1986). Cela peut s’expliquer par le fait que nous avions fait évoluer les conducteurs dans des situations complexes de conduite (manœuvre de franchissement d’intersections et utilisation d’un système de navigation). En effet, dans une telle situation la plus grande des difficultés des conducteurs novices reste le contrôle du véhicule. De fait les sous-tâches de l’activité de conduite que l’on opère ultérieurement de façon automatique grâce à l’acquisition de l’expérience demandent toujours autant de ressources attentionnelles pour ces conducteurs. La seconde partie de l’hypothèse faisant référence aux situations de double tâche est rejetée dans la mesure où la confrontation des performances des conducteurs novices avec celles des conducteurs expérimentés ne révèle aucun effet d’expérience quel que soit le niveau hiérarchique, tactique ou opérationnel.

Nous avions ensuite émis l’hypothèse selon laquelle la tâche téléphonique induirait des perturbations au niveau du traitement de l’information avec des répercussions visibles au niveau tactique, aussi bien pour les conducteurs novices que pour les conducteurs expérimentés.Nos résultats montrent un impact différent de la conversation téléphonique selon les conducteurs. Pour les novices on observe bien une dégradation des performances au niveau tactique14. Matthews et Mouran (1986) ont observé que l’efficacité de ce niveau est fonction de l’expérience et par conséquent la prise de décision chez un conducteur novice est davantage susceptible d’être inappropriée. La conversation téléphonique amplifie cette inefficacité. Les ressources cognitives des conducteurs novices sont assujetties au contrôle du véhicule (changement de voie et direction du volant) et par conséquent il ne reste plus assez de ressources disponibles pour balayer la scène routière et prélever de nouvelles informations concernant les risques potentiels. De plus, le traitement des informations perçues n’est pas totalement pertinent et par conséquent les effets d’une tâche ajoutée accentuent ce phénomène.

Concernant les conducteurs expérimentés, l’impact de la conversation téléphonique est visible au niveau opérationnel. En situation de double tâche, les conducteurs expérimentés montrent des difficultés au niveau final de la chaîne du traitement de l’information. Les analyses nous ont montré que la compréhension de la situation n’est pas dégradée puisqu’il n’y a pas de différence significative entre les situations de simple tâche et de double tâche au niveau tactique. En revanche, des erreurs dans la réalisation des sous-tâches élémentaires de contrôle de l’activité de conduite ainsi que dans le contrôle des actions ont été observées. Cela peut mettre en évidence l’impact de la conversation téléphonique sur les activités sur-apprises et basées sur l’automatisation. Les schémas habituellement mis en place lors de situations déjà rencontrées sont mis à défaut. Les automatismes sont « défaits » ou ne sont plus adaptés. Cela augmenterait le nombre des erreurs, entrainant notamment des « précipitations15 » et des « freinages intempestifs16 », caractéristiques d’un schéma de conduite inapproprié à la situation et d’une difficulté pour exécuter les actions adéquates. Ils sembleraient aussi que les experts ne gèrent pas les informations dès qu’ils les perçoivent, à savoir dès le début de l’intersection. Ils se basent sur un modèle mental perturbé par la double tâche qui induit des actions de dernières minutes. Ce sont ces décisions immédiates et spontanées qui traduisent ce problème d’exécution de l’action et qui augmentent le taux global d’erreurs de ces conducteurs.

Notes
14.

Relever avec les variables identifiant la qualité de la perception, la qualité des jugements effectués grâce (le respect de la signalisation, les hésitations et les moments choisis pour communiquer les intentions de tourner par le biais de la mise des clignotants).

15.

Les précipitations font référence aux situations où le conducteur franchi l’intersection de manière précipitée, qu’un véhicule soit présent ou non. Cela traduit un effet de stress potentiellement lié à la gestion simultanée de plusieurs sources d’information.

16.

Il s’agissait de repérer les situations où le conducteur était amené à freiner brusquement dès l’amorce de l’intersection signifiant une mauvaise compréhension de l’itinéraire à suivre, un comportement hésitant. Le freinage peut également avoir lieu au centre de l’intersection, si le conducteur est surpris par un événement ou s’il n’arrive pas à gérer l’ensemble des informations et, par conséquent, ralentit la dynamique du véhicule.