B) Claire : l’histoire d’un couple heureux

Claire est de la même essence qu’Éva : un roman sur le couple et particulièrement sur le bonheur dans la vie à deux. Il met en lumière l’histoire d’un homme qui veut croire à l’amour et qui veut être heureux, face à une femme qui est le contraire d’Éva : elle peut arriver à apporter le bonheur à l’homme qui l’aime.

Ce livre raconte l’histoire d’une jeune fille dont le nom est le titre du roman. Claire se définit par un caractère sensible. À vingt ans, elle a appris que son père et sa mère n’étaient pas mariés. Cette révélation a été pour elle un choc presque mortel. Elle vit depuis en recluse dans sa maison, à Charmont, avec sa domestique Mathilde, éprouvant un sentiment de honte et de déshonneur.

Jean, le narrateur-héros, a connu le père de Claire, Arthur Crouse, à Singapour, quand il était planteur à Bornéo. Ce dernier lui a raconté l’histoire de sa fille, qui a refusé de le voir dès la découverte du secret de sa naissance. En recherchant la tranquillité de l’âme, Jean décide de s’éloigner des responsabilités, du luxe et de l’argent. Il quitte Bornéo et se rend en France, où il veut jouir de la vie. Il y fait la connaissance de Claire, en qui il reconnaît aussitôt la femme qu’il cherchait100, «une femme à son goût»101. Il peut pénétrer sa retraite et être son amant. Ce qu’il aime en Claire, c’est tout d’abord sa beauté et il s’attache à sa jeunesse pour vivre un amour inconscient. Dès le premier regard, les deux se sont aimés. Ils vivent ensemble un amour complet et une austère félicité sans heurts, en dépit du refus de Jean de l’idée du mariage. Mais leur bonheur n’est pas parfait, il contient sa part d’ombre : Jean a été marié autrefois. Il a connu une expérience douloureuse. Il souffre déjà d’observer sur le visage de l’être qui partage sa vie les traces que le temps laisse chaque jour en décomposant sa beauté. La hantise de sa vie passée engendre en lui une méfiance excessive. Il se refuse à épouser Claire pour éviter de revivre sa triste expérience. Cependant, deux événements que le hasard met dans le cours de sa vie travaillent en sa faveur : d’une part, la promesse faite à sa mère, au moment de sa mort, d’épouser Claire et, d’autre part, l’apparition de Lorna, une jeune femme qu’il a connue dans sa jeunesse. Celle-ci, voulant maîtriser son destin, n’a pas accepté n’importe quoi et n’a cherché que le meilleur. « Elle a construit sa vie, sans s’en apercevoir, sur une duperie. »102, n’a abouti qu’à un vide immense et elle n’en a compris que tardivement la raison. Cette apparition furtive de Lorna conduit Jean à méditer sur la fin de son existence solitaire. Il perçoit qu’ « il ne faut pas calculer avec la vie pour n’en retenir que l’excellent; […] La vie n’est riche que dans sa plénitude agitée et bourbeuse. La goutte d’eau pure qu’on veut garder sans mélange au creux de la main est insipide. »103

Jean épouse Claire et connaît la plénitude de l’amour partagé. Il découvre qu’il s’est trompé jusqu’alors dans sa perception du bonheur d’autrefois qui n’était qu’un reflet du bonheur. Ils vivent une félicité absolue, un sentiment d’accomplissement qui les comble dans lequel on n’a plus rien à demander à la vie. Mais « le sort lui a trop donné et va réviser son compte. Le bonheur n’est pas permis longtemps, il est incertain et immérité »104. Effectivement, le temps de cette harmonie ne dure pas : Claire est obsédée par le sentiment de maternité. « Elle ne tolère pas un manque d’égard envers la famille. Pour elle, la famille c’est la poésie.105 » Dans un premier temps, cette idée de maternité effraie Jean. « [Il] est content que la nature s’y [soit] opposée jusqu’ici. »106. Désormais, pour la rendre heureuse et satisfaire ce désir si tenace, Jean oublie son égoïsme et cherche à réaliser le vœu de Claire d’être mère. Cet événement inaugure la fin de ce paradis terrestre. Claire meurt : elle est victime d’ « une hémorragie interne […] un cas très rare »107, comme le docteur le confirme. Jean retourne à Bornéo, à sa plantation malaise. Il vit mais, « comme Claire, il est absent de la terre.»108 Il n’a comme soutien que sa tâche terrestre pour oublier et se guérir.

Notes
100.

La préface de Claire

101.

Claire, p. 21.

102.

Ibid., p. 108.

103.

Ibid.

104.

Ibid., p.176.

105.

Ibid., p. 137.

106.

Ibid., p. 188.

107.

Ibid., p. 227.

108.

Ibid., p. 229.