Chapitre 1 : Cadre théorique

1. Phonologie en lecture

1.1. Phonologie, phonèmes, catégories et traits phonologiques

L’étude des sons de parole s’organise autour de deux disciplines : la phonétique et la phonologie. Alors que la phonétique s’intéresse aux aspects physiques de la parole (description du signal et des gestes articulatoires), la phonologie se rapporte davantage au traitement des sons de parole et à leur représentation. La phonologie considère que les sons du langage sont produits dans le but de coder et de transmettre l’information linguistique (les mots). La plus petite unité phonologique commutable, mais non décomposable en une succession de segments sonores, est le phonème. Ce dernier se caractérise par ses traits distinctifs ou phonologiques, eux-mêmes définis par des critères articulatoires et acoustiques. Plusieurs catégories de traits phonétiques sont décrites, trois sont fondamentales pour les consonnes du français : le voisement correspond à la mise en jeu des cordes vocales, le lieu d’articulation à la localisation de la constriction principale, alors que le mode se rapporte à la manière dont le flux d’air utile à la phonation s’écoule dans le conduit vocal. Un phonème sera ainsi qualifié de voisé ou sonore si sa production implique la vibration des cordes vocales (dans le cas contraire, il sera dit non-voisé ou sourd). Concernant le lieu d’articulation, en français, /p, b/ sont bilabiales, /t, d/ dentales, /k, g/ vélaires ; /f, v/ sont labiodentales, /s, z/ dentales, /ᶴ,ᴣ/ post-alvéolaires. Pour des raisons de commodité, nous avons distribué ces consonnes en trois catégories de lieu, conformément à Clements (1985, voir aussi Calliope, 1989) : labial si l’articulation s’accompagne d’un contact des lèvres, dental si la langue se place contre les dents, ou encore vélo-palatal si cette dernière se place contre le palais (Tableau I). Par ailleurs, si la production du phonème implique un blocage de l’air expiré (occlusion complète) suivi d’un brusque relâchement (explosion), le mode est dit occlusif. Si la production implique au contraire un écoulement continu de l’air dans un espace réduit, on parlera plutôt de mode fricatif. Comme l’illustre le Tableau I, la décomposition des consonnes occlusives et fricatives du français selon ces traits de lieu d’articulation et de voisement compte douze phonèmes :

Tableau I : Classification des consonnes de la langue française, sur la base des trois catégories de traits phonologiques selon Clements (1985).
    Lieu d’articulation
Mode d’articulation Voisement Labial Dental Vélo-palatal
Occlusif Sourd [p] [t] [k]
Sonore [b] [d] [g]
Fricatif Sourd [f] [s] [ᶴ]
Sonore [v] [z] [ᴣ]

Le phonème est un élément important pour la description linguistique, mais des travaux montrent qu’il est également fondamental en perception de parole notamment (Morais & Kolinsky, 1994). Cette idée nous a conduit à supposer que le phonème pourrait également avoir un rôle en lecture. C’est le fondement de ce travail de thèse.

Le rôle d’un code phonologique en lecture pose la question de la nature, de la taille, et de l’organisation des unités impliquées. Avant de nous interroger sur la pertinence des traits en réponse à cette question, il convient de situer le problème de la phonologie en lecture dans le contexte des principaux modèles de reconnaissance de mots écrits.