4.1.2. Arguments issus de tâches de jugement de similarité

Dès 1964, Greenberg et Jenkins ont souhaité prendre en compte des traits pour évaluer l’influence de la similarité phonologique sur le jugement de ressemblance. Dans leur épreuve, les consonnes initiales des syllabes se distinguaient soit par le lieu d’articulation, soit par le voisement, soit par les deux types de traits. Ils ont montré que la similarité était estimée comme inférieure par les juges lorsque deux traits plutôt qu’un seul portaient la différence. Le débat persiste cependant au sujet de la pertinence d’une mesure de la similarité phonologique basée sur le partage de traits plutôt que de phonèmes, car Vitz et Winkler (1973) n’ont pas amélioré la qualité de leur évaluation en utilisant une métrique infra-phonémique.

Plus récemment, Hahn et Bailey (2005) ont conduit une série de 5 expériences où il s’agit de choisir, entre deux pseudo-mots mono-syllabiques entendus, celui dont la forme sonore ressemble le plus à un pseudo-mot cible. Les résultats montrent clairement que les réponses sont influencées par le degré de recouvrement des traits infra-phonémiques, et ceci aussi bien au niveau des attaques que des codas des syllabes.

D’autres travaux réalisés par la même équipe ont consisté à comparer la pertinence de plusieurs mesures de la similarité entre phonèmes afin de rendre compte des jugements de similarité effectués par des adultes sur des consonnes de l’anglais (Bailey & Hahn, 2005). Ils ont notamment confronté deux mesures de similarité. La première reprend les trois catégories de traits privilégiés dans les théories phonologiques de la géométrie des traits : les traits de lieu, de mode et de voisement (SPMV). Dans ce cas, chaque type de trait est multi-valent, ce qui permet en anglais une évaluation de la similarité des consonnes en 4 niveaux (0, 1, 2, 3 traits partagés). L’autre mesure de similarité a été proposée par Frisch (1996), avec une plus large série de traits à une seule valeur (chaque trait est présent ou absent). Cette dernière mesure est basée sur une comparaison des classes naturelles auxquelles les deux phonèmes appartiennent. Les classes naturelles sont des ensembles de phonèmes partageant une combinaison particulière de traits. La similarité est alors calculée comme la proportion de classes naturelles partagées par les deux phonèmes, par rapport à la somme de ces classes naturelles partagées et de celles qu’elles ne partagent pas. Cette mesure permet une évaluation plus fine de la similarité, sur une échelle comportant davantage de degrés que SPMV. Toutefois, les auteurs montrent que l’évaluation plus simple, reprenant les trois types de traits, reste la plus efficace pour expliquer les jugements de similarité dans une tâche de choix forcé entre deux couples de mots entendus, la consigne étant de désigner le couple le plus similaire. Bien qu’en production de parole, les erreurs soient bien prédites par la métrique proposée dans la thèse de Frisch (1996, cité par Bailey & Hahn, 2005), la mesure de similarité SPMV, semble particulièrement efficace pour expliquer les données dans des tâches d’évaluation de ressemblance effectuées sur la parole perçue ; elle est en outre particulièrement économique.

En dehors des tâches de jugement explicite de la ressemblance que Bailey et Hahn ont directement expérimentées, les auteurs ont aussi évalué avec succès la prédictibilité de la similarité estimée par SPMV pour les erreurs de production recueillies par d’autres chercheurs dans le corpus du MIT (Shattuck-Hufnagel & Klatt, 1979), ainsi que pour des erreurs de perception dans du bruit (Luce, 1986) ou pour les performances en mémoire à court terme (Wickelgren, 1966).