4.2. Hiérarchie des types de traits

S’il existe de solides arguments pour défendre la pertinence cognitive de la répartition des traits en différentes classes, la question d’une éventuelle hiérarchie de ces types de traits demeure. La recherche en phonologie a proposé une organisation hiérarchique des types de traits, fonctionnellement reliés en catégories formant des nœuds dans une structure arborescente. Selon McCarthy (1988), la dichotomie principale au sein d’un segment concerne le nœud laryngé et le nœud de lieu d’articulation. Cette dichotomie serait subordonnée au mode d’articulation (la sonorité, le caractère consonantique, la nasalité, le caractère continu « continuance »). Pour discuter cette hiérarchie, il est possible d’évoquer des données empiriques dans le domaine des erreurs de perception de la parole, des expériences de détection d’erreurs de production, des expériences où la similarité des phonèmes doit être évaluée par les auditeurs de manière explicite, et enfin des erreurs de production de parole. Pour certains chercheurs, il n’est pas impossible qu’une catégorie de traits soit associée à des poids différents selon les tâches dans lesquelles les participants sont engagés (Bailey & Hahn, 2005 ; Wang & Biler, 1973). Nous chercherons si, au-delà des variations, le statut de certains types de traits est relativement stable, avec notamment la prépondérance des traits de mode.

Notons aussi que le statut des différents types de traits pourrait être en partie déterminé par des caractéristiques de la langue. Par exemple, le fait que certaines valeurs de traits soient plus fréquentes que d’autres parmi les mots de langue peut constituer une information sur laquelle s’appuyer lorsque le signal acoustique est dégradé. La distribution statistique des unités linguistiques a donc sans doute son importance pour le statut des traits et des types de traits. La recherche conduite par Denes (1963) sur l’anglais a ainsi montré que, pour cette langue, le trait de lieu alvéolaire prédomine statistiquement sur les autres lieux d’articulation (il est représenté dans 2/3 des consonnes), ce qui traduirait une préférence articulatoire de l’anglais pour les sons articulés à l’avant de la bouche. Par ailleurs, les règles qui régissent la succession des phonèmes diffèrent selon le type de traits. En anglais, le mode d’articulation semble avoir à cet égard un statut particulièrement important. L’examen des successions de phonèmes montre en effet que deux consonnes qui se suivent en anglais partagent en général le même lieu d’articulation mais se distinguent par le mode. De plus, les paires minimales qui s’opposent par le mode d’articulation sont nettement plus nombreuses que celles qui s’opposent par tout autre type de trait. Les traits de mode servent donc particulièrement souvent à distinguer les mots de cette langue (à eux seuls, ils opposent autant de mots que les traits de voisement et de lieu réunis). Tout se passe comme si l’organisation de l’anglais permettait en priorité d’éviter les confusions concernant le mode d’articulation. A ce titre, ce type de trait a un statut particulièrement important et en accord avec la hiérarchie défendue par McCarthy. Ces descriptions se limitent cependant à une langue et il est difficile de savoir si elles correspondent vraiment à des préférences universelles dues à des caractéristiques de l’organisation des organes articulatoires et/ou des particularités des mécanismes perceptifs.