4.2.1. Hiérarchie des types de traits et perception de parole

4.2.1.1. Traits libres et traits liés aux articulateurs

Dans la rapide présentation que nous avons faite de la géométrie des traits, nous avons évoqué une distinction proposée entre deux familles de traits  (Stevens, 2002) : les traits libres par rapport aux articulateurs (articulator-free features) et les traits liés aux articulateurs (articulator-bound features). Les traits libres constituent une classe qui permet une première catégorisation grossière des segments (la classe des voyelles, et de grandes classes de consonnes). Ils n’apportent pas de précisions sur les articulateurs activés pour la production du segment (Halle, 1992, cité par Stevens, 2002), mais seulement des informations sur la fermeture du chenal expiratoire. Selon certains modèles d’identification de phonèmes, l’identification des traits libres (caractérisant notamment le mode d’articulation, mais aussi la sonorité ou encore l’opposition consonne-voyelle) constituerait la base pour la discrimination ultérieure des traits liés, car les premiers délimiteraient dans le signal des régions où pourraient se trouver les indices acoustiques des seconds (Stevens, 2002). L’identification des traits articulator-free permettrait de localiser des indices spectraux qui dépendent du mode d’articulation. Les traits liés précisent par ailleurs quels articulateurs primaires sont impliqués dans la production, quelles sont leur forme et leur position. Dans la description que propose Stevens, les traits de lieu d’articulation semblent eux-mêmes faire partie des traits liés (c’est aussi ce que considèrent Gow et Caplan, 1996). Par contre, Clements et Hume (1995) parlent essentiellement des traits liés comme s’ils précisaient la façon dont un lieu d’articulation particulier est produit (les traits [anterior] et [distributed] pour le lieu coronal), ce qui correspond à un niveau d’analyse plus précis. Selon Stevens (2002), en plus de cela, il serait généralement nécessaire de spécifier les traits associés à des articulateurs dits secondaires. Il s’agirait notamment des traits [nasal] et [stiff vocal fords] (i.e., le voisement). Notons enfin que le trait de voisement est lui-même rangé dans la catégorie des traits articulator-bound par certains auteurs (Gow & Caplan, 1996), et non dans cette troisième catégorie. En bref, la hiérarchie proposée dans cette théorie phonologique situe les traits de mode d’articulation au sommet, puis viennent les traits de lieu d’articulation et enfin le voisement, sans que la différence de statut entre lieu et voisement soit claire et reconnue de façon homogène. Le mode d’articulation est par ailleurs supposé être au niveau le plus haut dans la mesure où il définit la représentation d’un segment à l’intérieur d’une syllabe (Van der Hulst, 2005). Des estimations de distance psychologique entre consonnes sont issues des performances de participants écoutant des consonnes produites oralement : ils doivent évaluer leur taux de similarité (Peters, 1963). Il a été montré que le mode d’articulation est la dimension la plus importante, suivi du voisement, puis du lieu d’articulation. Tout se passe comme si les traits « articulator-free », comme le mode, étaient à la base de la discrimination des traits « articulator-bound » tels que le voisement et le lieu d’articulation (Stevens, 2002). L’avantage de la discrimination des traits « articulator-free » sur les traits « articulator-bound » chez des patients aphasiques apporte des arguments à ce point de vue (Gow & Caplan, 1996). Ces traits sont donc organisés en hiérarchie arborescente, géométrique, pour les disposer dans leurs relations avec les structures articulatoires (Clements, 1985 ; Mc Carthy, 1988).