4.2.1.4. Hiérarchie des traits et détection d’erreurs de prononciation

Dans des épreuves de détection d’erreurs de prononciation, nous avons vu que Cole (1973) ou encore Marslen-Wilson et Welsh (1978) montraient la sensibilité des auditeurs à la quantité de traits incorrects dans un phonème inapproprié. Cole, Jakimik et Cooper (1978) font eux aussi entendre des mots parfois mal prononcés, en anglais, mais effectuent une analyse qualitative des traits modifiés. Leur première expérience nous apprend que la détection des erreurs de voisement varie selon le mode d’articulation du phonème modifié : elles sont mieux identifiées dans des occlusives (70%) que dans des fricatives (38%). Ici encore, il semble possible de parler d’une certaine dépendance du traitement du voisement par rapport à des caractéristiques de mode. Plusieurs explications sont envisagées. Selon les auteurs, il ne pourrait s’agir de la plus grande variabilité des traits acoustiques associés au voisement dans les fricatives. Par contre, le changement de voisement dans une fricative pourrait être mal détecté parce qu’il serait perçu comme une variation normale due à un phénomène de coarticulation, et non à une erreur de prononciation. Le voisement des fricatives aurait en effet tendance à s’assimiler à celui d’un segment adjacent. Enfin, la difficulté à détecter un changement de voisement dans des consonnes fricatives pourrait aussi s’expliquer par la faible quantité de paires de mots anglais se distinguant par la seule différence de voisement entre des consonnes fricatives. Le changement de voisement entre des fricatives ne serait alors porteur que de peu d’information et les auditeurs anglais les prendraient peu en considération. Nous avons vu qu’en néerlandais le traitement du voisement dépendait aussi de caractéristiques de mode, mais dans cette langue le voisement serait mieux traité pour des consonnes occlusives que pour des fricatives (Warner et al., 2005). Le rapprochement entre ces deux résultats met en exergue la dépendance du traitement du voisement par rapport aux caractéristiques de mode d’articulation, mais au-delà de ce principe général, le détail de la façon dont cette dépendance s’exprime dépend de caractéristiques de la langue.

La dépendance du traitement du voisement par rapport au mode d’articulation suggère une première relation hiérarchique entre deux types de traits. Contrairement à l’affirmation de Peters (1963, p. 1985) selon qui la perception des traits distinctifs (voisement, nasalité, affrication, durée et lieu) se ferait indépendamment pour chaque trait, il semble que le traitement du voisement ne soit pas étranger à celui du mode d’articulation.

Dans des expériences complémentaires en anglais, Cole et al. (1978) relèvent aussi une détection plus fréquente des erreurs de lieu d’articulation (87%) que des erreurs de voisement (78%) dans des mots. Ce résultat s’oppose à celui de Miller et Nicely (1955) qui observaient moins de confusion sur le voisement que sur le lieu d’articulation en perception de syllabes dans du bruit. Ils s’opposent aussi à ceux de Garnes et Bond (1975) qui étudient les erreurs de perception dans une conversation présentée en contexte bruité. Cela suggère que le bruit détériore particulièrement l’information acoustique qui sous-tend le lieu d’articulation, alors que le voisement lui résiste mieux. Les indices acoustiques temporels pour le voisement (VOT) seraient moins affectés par le bruit que les indices spectraux, plus fondamentaux pour identifier le lieu. Dans les conditions d’écoute non bruitées proposées par Cole et al. (1978), ce rapport hiérarchique entre voisement et lieu est inversé. Nous proposons de rapprocher ce résultat de celui de Warner et al. (2005) qui, nous l’avons vu, observaient aussi une meilleure identification du lieu que du voisement dans un signal non détérioré par du bruit, mais altéré par une suppression croissante de signal depuis le début.

Autrement dit, le mode est particulièrement bien traité en perception de la parole et, si les conditions d’écoute ne sont pas bruitées, le lieu semble mieux perçus que le voisement. Toutefois, le contexte bruité renverse la hiérarchie entre les traits de lieu et de voisement en anglais.