4.2.4. Hiérarchie des traits et jugement explicite de similarité

Des expériences métalinguistiques, dans lesquelles les participants doivent directement juger la ressemblance entre des phonèmes, apportent aussi des éléments au sujet des différentes catégories de traits phonologiques.

Une hiérarchie des traits se dégage par exemple d’une tâche d’évaluation explicite de la similarité (échelle en 9 points) entre les membres d’une paire de consonnes (Peters, 1963). Dans cette épreuve métalinguistique, les participants ont effectué des jugements portant sur 496 paires de syllabes, constituées à partir de 28 consonnes qu’ils avaient eux-mêmes produites et dont l’enregistrement leur était diffusé. Ces données ont permis de représenter des regroupements de consonnes dans un espace à deux dimensions. Il s’est avéré possible d’interpréter la structure à partir des trois types de traits : le mode, le lieu et l’activité laryngale (voisé vs. non-voisé). Les groupements sont essentiellement motivés par le partage du mode d’articulation, type de trait qui apparaît encore une fois au sommet de la hiérarchie. Cette dominance est renforcée chez les participants dotés de connaissances académiques en phonétique. D’après l’analyse de l’auteur, tout se passe comme si le lieu et le voisement participaient à une même dimension et aucune relation hiérarchique claire n’apparaît entre ces deux types de traits. Le lieu d’articulation apparaît comme le type de trait prédominant chez deux participants sur dix, mais il se trouve que ce sont justement deux personnes ayant suivi des cours en phonétique. Pour Peters, la distance psychologique entre les consonnes est donc avant tout déterminée par le mode, et secondairement par le voisement et le lieu d’articulation. Williams (1970) note aussi que le trait le moins stable est le trait coronal, qui est un trait de lieu d’articulation ; l’auteur conclut à la moindre importance du statut accordé aux traits de cette classe dans l’estimation de la similitude entre phonèmes.

L’absence d’une claire hiérarchie entre le lieu d’articulation et le voisement ressort également des résultats d’une autre tâche métalinguistique, dans laquelle les participants devaient rapprocher 2 syllabes sur 3, selon leur similarité phonologique (Perecman & Kellar, 1981). Pour réaliser l’appariement, les participants pouvaient entendre autant qu’ils le souhaitaient chacune des trois syllabes, pour lesquelles ils pouvaient aussi s’appuyer sur une présentation écrite. Cette épreuve mettait systématiquement en concurrence le partage d’un trait de lieu et le partage d’un trait de voisement. Dans cette étude, les adultes sans pathologie ont réalisé les appariements aussi bien sur la base de la ressemblance de lieu que sur la base de la ressemblance de voisement, ce qui confirme encore l’absence de relation hiérarchique stable entre ces deux types de traits.

Plus récemment, Bailey et Hahn (2005) ont également comparé l’influence des ressemblances de lieu, de mode et de voisement entre des phonèmes sur l’évaluation explicite de leur similarité. Nous avons vu que leur travail avait permis de mettre en avant les qualités prédictives d’une mesure de similarité basée sur ces trois types de traits. Une analyse post-hoc de leurs données révèle l’importance particulière de la catégorie de mode d’articulation. Lui accorder davantage de poids qu’aux traits de lieu ou de voisement accroît en effet la prédictibilité des mesures de similarité dans des tâches de jugement de ressemblance entre consonnes. Les auteurs rejoignent ici la conclusion de Peters (1963), mais aussi celle de Carter (1987) et de Denes (1963). Selon eux, la plus grande quantité d’information qui permet de distinguer des mots est sous-tendue par le mode d’articulation.