6.3.1.2. Déficit de la procédure d’assemblage : un trouble largement répandu chez les dyslexiques

Les études portant sur le déficit de la procédure d’assemblage indiquent que les performances de groupes de dyslexiques sont particulièrement déficitaires en lecture de pseudo-mots, c’est-à-dire quand les stimuli ne peuvent être lus qu’en s’appuyant sur les règles de correspondances grapho-phonémiques, ce qui implique de bonnes compétences phonologiques. Un déficit de cette procédure de lecture a été relevé dans pratiquement toutes les études examinées, y compris lorsque les enfants dyslexiques sont comparés à des enfants contrôle plus jeunes qu’eux, mais de même niveau de lecture (voir les revues de Rack et al., 1992 et de Van Ijzendoorn & Bus, 1994). Ce n’est pas le cas pour le déficit de la procédure lexicale de lecture (voir la méta-analyse de Metsala et al., 1998).

Selon la langue, le déficit de la procédure d’assemblage peut néanmoins s’exprimer différemment. Il est plus notable quand les dyslexiques sont confrontés à une langue dont l’écriture est peu transparente au niveau des relations grapho-phonémiques (par exemple, en anglais comparativement au français, à l’allemand, ou à l’italien : Lindgren et al., 1985 ; Landerl et al., 1997 ; Paulesu et al., 2001). Enfin, dans les langues qui ont une orthographe transparente, ce déficit se manifeste principalement par la lenteur de la lecture de pseudo-mots (en français : Casalis, 1995 ; Sprenger-Charolles et al., 2000 ; Casalis, 2003 ; Grainger et al., 2003 ; en allemand : Wimmer, 1993 ; Wimmer, 1995 ; Landerl et al., 1997 ; Ziegler et al., 2003 ; en espagnol : Jimenez-Gonzalez & Valle, 2000) et non par la précision de la réponse comme en anglais (Landerl et al., 1997 ; Ziegler et al., 2003). Ces résultats signalent que, lorsque l’orthographe est transparente par rapport à la langue orale, les dyslexiques arrivent à associer les graphèmes aux phonèmes correspondants, cette opération étant toutefois coûteuse en temps, ce qui témoigne du fait qu’il ne s’agit pas d’un automatisme chez eux, à la différence de ce qui est relevé chez les lecteurs experts.

Ces différentes données montrent bien la constance du déficit de la procédure phonologique de lecture des dyslexiques, mais ne permettent toutefois pas de se prononcer sur la proportion des individus qui, à l’intérieur d’un groupe de dyslexiques, souffrent vraiment d’un tel déficit. Les études qui ont évalué la prévalence de ce type de déficit l’ont en général fait en partant des profils de dyslexie. Dans ce domaine, on distingue traditionnellement les dyslexiques phonologiques, qui souffrent d’un déficit spécifique de la voie phonologique, les dyslexiques de surface, qui souffrent essentiellement de difficultés de mémorisation et d’utilisation de la forme orthographique des mots (la voie lexicale), et les profils mixtes, qui ont un double déficit.

Comme l’indiquent les études de cas multiples, les habiletés phonologiques de lecture des dyslexiques phonologiques sont généralement plus faibles que celles d’enfants plus jeunes mais de même niveau de lecture. Ce n’est pas le cas pour les habiletés lexicales de lecture des dyslexiques de surface (en anglais : Castles et Coltheart, 1993 ; Manis et al., 1996 ; Stanovich et al., 1997 ; en français : Génard et al., 1998 ; Sprenger-Charolles et al., 2000). D’après la méta-analyse de Bryant et Impey (1986), ces résultats reproduisent ceux relevés dans les études de cas uniques de dyslexiques phonologiques (Snowling et al., 1986 ; Temple & Marshall, 1983 ; Valdois et al., 2003). Cela suggère que la trajectoire développementale des dyslexiques phonologiques est qualitativement déviante (ils ne souffrent pas d’un simple retard d’apprentissage), alors que celle des dyslexiques de surface ne l’est pas nécessairement.

Des déficits phonologiques ont même très souvent été rapportés dans les études de cas uniques de dyslexie de surface (par exemple, Coltheart et al., 1983, selon l’analyse de Bryant & Impey, 1986 ; Valdois et al., 2003), comme dans la plupart des études de cas multiples (par exemple, Seymour, 1986 ; Sprenger-Charolles et al., 2000 ; Jimenez-Gonzalez & Ramirez-Santana, 2002 ; Zabell & Everatt, 2002). Dans de tels cas, les déficits phonologiques ne sont pas majeurs, mais sont tout de même relevés principalement en lecture de pseudo-mots, ainsi que dans des tâches d’analyse ou de mémoire phonologique et de dénomination rapide. Il est donc difficile de soutenir que les compétences phonologiques des dyslexiques de surface sont totalement préservées. Enfin, la seule étude dans laquelle les performances des dyslexiques ayant un profil mixte (et donc un double déficit) ont été finement examinées (Stanovich et al., 1997), signale que les capacités phonologiques de ces dyslexiques sont aussi fortement détériorées que celles des dyslexiques phonologiques.

Dans l’ensemble, le déficit de la procédure phonologique de lecture est robuste et prévalent. Il correspondrait à une déviance développementale et non à un simple retard d’apprentissage.