6.3.2.2. Jugement d’ordre temporel chez les dyslexiques

En 1980, Tallal propose pour la première fois d’étendre sa théorie explicative à la dyslexie, marquant le début d’une vaste et longue polémique, qui dure encore aujourd’hui, autour de la notion d’une origine perceptive aux troubles d’apprentissage de la lecture. Par analogie avec ses études chez les dysphasiques, Tallal (1980) compara 20 participants en difficulté de lecture, âgés de 8 à 12 ans (moyenne 9,7 ans), à 12 enfants normo-lecteurs de moyenne d’âge 8,5 ans, sur une tâche depuis lors dénommée Tallal’s repetition test, tâche qui repose sur des jugements de similitude ou d’ordre temporel entre deux stimuli non verbaux (sons complexes) de 75 ms de durée, différant seulement par leur fréquence fondamentale, séparés d’un ISI de 428 ms. Enfin, les mêmes paires étaient présentées à des ISI plus courts s’étendant de 8 à 305 ms. L’auteur ne retrouva aucune différence entre les deux groupes dans la phase d’apprentissage, ni dans la phase de test avec des paires séparées par des intervalles de 429 ms. En revanche, des différences très significatives apparurent pour les ISI plus courts, 45% des enfants dyslexiques se situant en dessous de la performance du plus faible contrôle, suggérant que, comme pour les dysphasiques, le cerveau de ces enfants était en déficit pour traiter les événements brefs et en succession rapide, et non les mêmes éléments séparés par de plus larges intervalles.

L’enfant dyslexique serait donc incapable d’entendre des distinctions acoustiques parmi les sons brefs et successifs de la parole. En revanche, si la durée des stimuli est artificiellement allongée, le déficit des dyslexiques n’apparaît plus. Un entraînement intensif basé sur des stimuli verbaux artificiellement étirés dans le temps faciliterait le traitement des transitions formantiques et permettrait d’améliorer la discrimination des phonèmes (Tallal & Piercy, 1975). Par ailleurs, chez les lecteurs normaux, une activité préfrontale gauche est observée en IRMf en réponse à des stimuli acoustiques non linguistiques à changements rapides (par opposition à des changements plus lents), alors que cette aire n’est pas sensible à cette différence chez les dyslexiques testés (Temple et al., 2001). Toutefois, cette région semble présenter suffisamment de plasticité, puisque cette sensibilité différentielle se développe après un entraînement intensif.

A la lumière des données évoquant un entraînement possible des enfants souffrant de troubles d’acquisition du langage, nous avons proposé à des enfants dyslexiques, dans une de nos expériences précédentes, un entraînement audio-visuel intensif portant spécifiquement sur la perception du trait phonétique de voisement (Krifi, Bedoin & Mérigot, 2003). En effet, nous supposions que ces enfants, en dépit de leurs difficultés, étaient tout de même sensibles au trait de voisement et que cette sensibilité pouvait être exploitée dans le cadre d’une remédiation. Cette idée s’appuyait sur les travaux de Forrest et Morrisette (1999) pour qui le trait de voisement serait le mieux retenu et le mieux traité, ceci aussi bien chez les jeunes enfants normo-lecteurs que chez les enfants dyslexiques. L’entraînement audio-visuel portant sur l’extraction implicite du voisement s’est avéré encourageant. Il était en effet suivi d’une modification de la configuration des effets de similarité de voisement entre les deux consonnes d’un stimulus C1VC2V, dans une tâche d’identification des consonnes écrites, configuration désormais conforme à celle observée chez les enfants normo-lecteurs et semblant témoigner de l’intervention d’une organisation des unités phonémiques par des inhibitions latérales en termes phonétiques (Bedoin, 2003). Il serait donc possible d’intervenir pour améliorer l’organisation des connaissances phonologiques, à un niveau infra-phonémique, chez des enfants dyslexiques.