6.3.4.1. Troubles de l’attention visuelle

Les recherches menées jusqu’ici témoignent de façon consensuelle de l’absence de trouble attentionnel au sens large (problème de vigilance, hyperactivité ou impulsivité) dans le cadre des dyslexies développementales (Bednarek et al., 2004 ; Thomson et al., 2005). Certaines études ont conclu à un lien entre inattention et dyslexies développementales (Willcutt & Pennington, 2000 ; Thomson et al., 2005). Cependant, l’hypothèse d’inattention n’est pas compatible avec d’autres données (Bednarek et al., 2004) qui orientent plutôt vers un trouble attentionnel très spécifique. L’hypothèse d’un déficit de l’attention visuelle associé voire responsable des troubles dyslexiques n’a d’abord été formulée que très sporadiquement à travers des études de cas et quelques rares études de groupe. Cette hypothèse a ensuite été plus largement étudiée par le biais de deux paradigmes expérimentaux essentiellement : les épreuves de recherche d’une cible parmi des distracteurs et les épreuves de détection de cible avec ou sans indiçage, inspirées du paradigme de Posner. Les recherches défendant l’hypothèse d’un déficit de l’attention perceptive se heurtent à l’heure actuelle aux mêmes limites que les recherches reliées à l’hypothèse magnocellulaire, à savoir :

  • cerner la nature exacte du déficit attentionnel ;
  • disposer d’un cadre théorique permettant d’expliquer en quoi un tel déficit est propre à affecter spécifiquement l’apprentissage de la lecture.

Des résultats très récents ouvrent cependant de nouvelles perspectives, en suggérant que les troubles visuo-attentionnels pourraient jouer un rôle important et spécifique dans l’apprentissage de la lecture.

  • Trouble sélectif en recherche de cible parmi des distracteurs

L’hypothèse d’un trouble de l’attention visuelle a été essentiellement confortée par nombre d’études utilisant le paradigme de recherche d’une cible parmi des distracteurs. Dans ce type de tâche, les participants sont confrontés à deux conditions expérimentales, une condition automatique et une condition attentionnelle. Dans la condition automatique, la cible se distingue des distracteurs par un attribut spécifique : un trait visuel (chercher une lettre Q parmi des O) ou une couleur (chercher une barre rouge parmi des barres bleues). Dans cette condition, la cible « saute aux yeux » (phénomène de pop-out) lors de sa présentation à l’écran et entraîne des temps de réponse rapides qui ne varient pas en fonction du nombre de distracteurs. Au contraire, en condition attentionnelle, la cible ne se distingue des distracteurs par aucun trait spécifique (chercher un O parmi des Q, ou chercher une ligne verticale rouge parmi des lignes horizontales rouges et des verticales bleues). Elle ne saute pas aux yeux et doit faire l’objet d’un traitement sériel attentionnel si bien que les temps de réponse augmentent avec le nombre de distracteurs.

L’ensemble des recherches utilisant ce paradigme expérimental ont montré que les enfants dyslexiques présentaient des difficultés spécifiques à la condition attentionnelle où les performances se caractérisent par des temps de recherche par item anormalement longs. Ainsi, les enfants dyslexiques sont plus sensibles aux distracteurs périphériques que les enfants contrôles, ce qui reflèterait une incapacité à orienter volontairement l’attention vers de petites cibles visuelles (Stein, 1991). Par ailleurs, les enfants dyslexiques ont des performances déficitaires lorsqu’ils doivent rechercher des O parmi des Q (condition nécessitant un traitement sériel/attentionnel), alors que leurs résultats sont dans la norme lorsque la tâche implique un traitement automatique (rechercher des Q parmi un ensemble de O), (Marendaz, Valdois & Walch, 1996 ; Valdois, 1996).En condition automatique, la tâche de recherche de cible mobilise peu de ressources attentionnelles alors que des capacités de focalisation sont mobilisées en condition attentionnelle pour le traitement simultané d’un sous-ensemble d’éléments ainsi que des capacités de désengagement et de déplacement attentionnel pour le traitement successif de plusieurs sous-ensembles. Les difficultés rencontrées par les dyslexiques pourraient donc refléter soit un problème de focalisation attentionnelle, soit une difficulté à désengager l’attention, ou encore une réduction du nombre d’éléments pouvant être traités simultanément lors de la phase de focalisation.

  • Trouble de l’orientation de l’attention automatique

Dans d’autres études, un trouble de l’orientation de l’attention, cette fois automatique, a été observé chez certains dyslexiques, notamment dans une tâche basée sur le paradigme d’indiçage de Posner (Facoetti, Paganoni, Turatto, Marzola & Mascetti, 2000). Ces auteurs ont aussi parfois observé l’association de ce déficit avec une faible capacité de maintien du focus attentionnel. De tels déficits pourraient affecter la planification des mouvements oculaires et l’exclusion des informations parafovéales, deux opérations nécessaires au bon déroulement de la lecture. De plus, un entraînement visuel spécifique à la réorientation du focus attentionnel améliore de façon significative la vitesse et l’exactitude de la lecture d’enfants dyslexiques (Facoetti, Lorusso, Paganoni, Umilta & Mascetti, 2003). La difficulté à exclure momentanément certaines informations parafovéales pourrait correspondre à l’observation clinique, chez certains dyslexiques, d’une supériorité de la vision périphérique, interprétée parfois comme un trouble de l’inhibition des informations périphériques. En lecture, la présence d’un filtre attentionnel atténue normalement l’interférence des informations provenant de la périphérie (traitement parafovéal), et augmente l’efficacité de la vision centrale (traitement fovéal).