6.3.4.4. Atteinte de l’empan visuo-attentionnel chez les dyslexiques

L’hypothèse d’une relation causale entre un déficit visuo-attentionnel et certains cas de dyslexie développementale a été confortée par les progrès significatifs en lecture et en orthographe d’un enfant dyslexique de surface à la suite d’une rééducation orthophonique centrée sur l’entraînement des capacités de traitement visuo-attentionnel (Valdois & Launay, 1999). De plus, que ce soit dans les procédures par adressage ou par assemblage du modèle de la double voie, ou bien dans la procédure orthographique décrite par Frith, un encodage correct de l’identité et de l’emplacement de chaque lettre est indispensable : même un traitement rapide et en parallèle des lettres d’un mot exige l’identification des lettres et de leur position. Des observations cliniques attestent que cette opération visuo-attentionnelle est déficitaire chez certains dyslexiques. Ainsi, Valdois, Gérard, Vanault et Dugas (1995) décrivent un cas de dyslexie développementale caractérisé presque exclusivement par des erreurs visuelles, avec un trouble attentionnel entraînant une prise d’information partielle sur les mots et un codage positionnel imparfait des lettres à l’intérieur du mot. Valdois et ses collaborateursdécrivent une réduction de la fenêtre visuo-attentionnelle(Bosse, Tainturier & Valdois, 2006 ; Valdois, 2004a ; Valdois, Gérard, Vanault & Dugas, 1995 ;Valdois, Bosse & Tainturier, 2004).

En particulier, une atteinte sélective de l’empan visuo-attentionnel en contexte dyslexique a été montrée par Valdois et al. (2003), avec le cas d’un jeune garçon de 14 ans, Nicolas, qui présente toutes les caractéristiques d’une dyslexie de surface (trouble sélectif de la lecture et de l’écriture des mots irréguliers) en l’absence de trouble phonologique associé (bonne conscience phonémique, bonnes capacités de répétition et de mémoire verbale à court terme). Les performances de Nicolas sur les tâches de report de lettres mettent en revanche en évidence un profil très atypique. Alors que les participants normo-lecteurs de même âge réel parviennent à identifier la plupart des lettres quelle que soit leur position dans la séquence, Nicolas ne parvient à identifier au même taux que les témoins, que les lettres apparaissant dans deux des cinq positions présentées (en position 1 et 3). Il lui est particulièrement difficile d’identifier les lettres apparues en position 4 et 5 de la séquence. Dans ces positions, ces performances demeurent déficitaires même lorsqu’on les compare à celles d’enfants normo-lecteurs plus jeunes de même niveau de lecture que lui. Nicolas présente donc une réduction de l’empan visuo-attentionnel en l’absence de trouble phonologique associé. À l’inverse, les résultats d’un autre adolescent dyslexique, Laurent, sur les mêmes épreuves sont parfaitement dans la norme des témoins de même âge réel (Valdois et al., 2003). Alors que Laurent a un niveau de lecture et un niveau intellectuel comparables à ceux de Nicolas, il ne présente aucun trouble objectivable de l’empan visuo-attentionnel. En revanche, ses performances sont très faibles sur tout un ensemble de tâches impliquant un traitement phonologique et son profil de lecture correspond à celui classiquement décrit dans le contexte des dyslexies phonologiques (trouble sélectif de la lecture et de l’écriture des pseudo-mots). Cette étude montre clairement l’existence d’une double dissociation entre trouble de l’empan visuo-attentionnel et trouble phonologique en contexte dyslexique. Certains dyslexiques présentent donc un trouble de l’empan visuo-attentionnel indépendamment de toute atteinte phonologique, alors que d’autres présentent le profil inverse. Pour intéressante que puisse être la démonstration d’une telle dissociation d’un point de vue théorique, celle-ci n’en demeure pas moins très limitée lorsqu’elle s’effectue dans le contexte de l’étude de deux cas contrastés. Tout porte en effet à penser qu’il peut s’agir de cas exceptionnels dont les résultats ne peuvent être généralisés.

Pour pallier ce problème, Bosse et al. (2006) ont analysé les performances de deux groupes d’enfants dyslexiques, l’un composé de 68 enfants francophones, l’autre de 29 enfants anglophones. Cette étude a permis de montrer qu’une majorité d’enfants présentaient un trouble isolé soit de la conscience phonémique, soit de l’empan visuo-attentionnel, dans les deux populations. Ceci suggère que la dissociation décrite dans le cadre de l’étude de cas initiale est observée chez une majorité d’individus dyslexiques indépendamment des caractéristiques de leur langue maternelle. Cette étude montre par ailleurs qu’une proportion importante d’enfants présente un trouble isolé de l’empan visuo-attentionnel ; en fait, le nombre d’enfants présentant ce type de déficit est, tant dans la population anglophone que francophone, au moins égal au nombre d’enfants présentant un trouble phonologique isolé.