6.3.4.5. Lien entre empan visuo-attentionnel et lecture

Les résultats précédemment mentionnés montrent qu’un déficit de l’empan visuo-attentionnel est observé chez certains dyslexiques et que ce déficit peut se rencontrer indépendamment de toute atteinte phonologique. Ceci est potentiellement très important du point de vue théorique à condition cependant de montrer l’existence d’un lien entre trouble de l’empan visuo-attentionnel et niveau de lecture et ce, indépendamment des capacités de traitement phonologique des enfants. Les études de groupe précédemment mentionnées apportent des éléments à l’appui d’une telle relation. En effet, l’étude de Bosse et collaborateurs (2006) montre une forte corrélation entre les performances des enfants dyslexiques sur les épreuves visuo-attentionnelles et leurs performances sur les épreuves de lecture proposées (niveau de lecture ou lecture de mots isolés). En revanche, les performances visuo-attentionnelles et métaphonologiques de ces enfants ne corrèlent pas, une fois pris en compte l’effet de l’âge. Des analyses de régressions multiples ont par ailleurs montré que leurs capacités de traitement visuo-attentionnel étaient prédictives de leur niveau de lecture indépendamment de leurs capacités de traitement phonologique. Casco, Tressoldi et Dellantonio (1998) avaient déjà montré que les capacités de traitement visuo-attentionnel des enfants normo-lecteurs sont corrélées à leur niveau de lecture : dans leur étude, les enfants présentant les performances les plus faibles à une épreuve de recherche d’une lettre cible parmi des distracteurs lisaient significativement moins vite et commettaient un nombre d’erreurs visuelles plus élevé que les enfants ayant obtenu de bonnes performances à cette tâche. Ces résultats suggèrent qu’un déficit de l’empan visuo-attentionnel contribue de façon spécifique au faible niveau de lecture des enfants dyslexiques.

Le modèle multitraces de lecture offre par ailleurs un cadre théorique permettant d’expliciter le lien entre trouble de l’empan visuo-attentionnel et difficulté d’apprentissage de la lecture (Ans et al., 1998). La notion de fenêtre visuo-attentionnelle développée dans le modèle met l’emphase sur l’implication de traitements visuo-attentionnels dans l’analyse de la séquence orthographique des mots (Bundesen, 1998 ; Pelli et al., 2006). En situation de lecture globale, l’attention doit se distribuer harmonieusement sur l’ensemble des lettres de la séquence pour assurer leur identification (« livre »). En cas de déficit, seules certaines lettres saillantes pourront être identifiées, et l’identité de ces lettres pourrait différer lors des rencontres successives avec le mot de sorte que l’enfant sans cesse confronté à des informations de nature différente ne pourra se constituer une trace mnésique stable du mot plusieurs fois rencontré (« LIvre » ; « livrE », les majuscules correspondant aux lettres saillantes correctement identifiées). On s’attend donc théoriquement à ce qu’un trouble de l’empan visuo-attentionnel soit particulièrement néfaste au développement de la procédure globale de lecture. Celui-ci pourrait cependant également gêner le développement de la procédure analytique dans la mesure où cette dernière repose sur le traitement d’unités orthographiques de tailles variables (syllabes et graphèmes) pouvant comporter jusqu’à 4 ou 5 lettres. Un trouble de l’empan visuo-attentionnel empêchant l’identification de l’ensemble des lettres correspondant aux unités orthographiques pertinentes pour un mot ou un pseudo-mot donné (e.g., « pointure ») pourrait donc altérer à la fois le fonctionnement des procédures analytique et globale de lecture.

Souvent directement comparés à des dyslexiques phonologiques, des cas d’enfants dyslexiques de surface sont ainsi décrits, par analogie avec la littérature sur la dyslexie acquise : ces enfants présentent des difficultés particulièrement marquées pour la lecture de mots irréguliers. Dans les termes de la théorie de la double voie, ils semblent n’utiliser que la procédure par assemblage phonologique. L’application systématique de règles graphèmes-phonèmes et phonèmes-graphèmes leur permet de lire des pseudo-mots, mais les conduit à de nombreuses erreurs par régularisation en lecture et écriture de mots irréguliers. L’utilisation de représentations orthographiques de mots complets dans une procédure par adressage serait donc déficitaire (pour des études de cas, voir Bailey,Manis, Petersen & Seidenberg, 2004 ; Broom & Doctor, 1995a, 1995b ; Castles & Coltheart, 1996 ; Coltheart, Masterson, Byng, Prior & Riddoch, 1983 ; Di Betta & Romani, 2006 ; Goulandris & Snowling, 1991 ; Hanley & Gard, 1995 ; Rowse & Wilshire, 2007 ; Valdois et al., 2003).