6.4.2.2. Principaux résultats chez l’adulte et chez l’enfant

Georgiewa et al. (1999, 2002) furent les premiers à rapporter des résultats, d’abord seulement en IRM fonctionnelle (IRMf) puis combinée à la méthode des potentiels évoqués (PE) chez des enfants dyslexiques et chez des témoins ; des différences entre les deux groupes étaient présentées pour des tâches linguistiques avec une présentation visuelle des stimuli au niveau du cortex frontal inférieur gauche, entre 250 et 600 ms (Georgiewa et al., 2002). À partir d’une tâche de détection de trait ou de mot, Helenius et al. (1999) montraient qu’il existe chez les dyslexiques un déficit dans le traitement pré-lexical impliquant habituellement le cortex temporo-occipital inférieur gauche.

Chez l’adulte normo-lecteur, les régions cérébrales impliquées dans la lecture de mots isolés sont largement distribuées mais dominées par un réseau hémisphérique gauche avec deux circuits postérieurs et un circuit antérieur (Pugh et al., 2000). Le circuit ventral ou temporo-occipital est centré sur le gyrus fusiforme (Visual Word Form Area) et semble sous-tendre la procédure d’adressage ou d’accès quasi automatique à la forme visuelle des mots (Cohen et al., 2002) ; le circuit dorsal ou temporo-pariétal comprend principalement le gyrus angulaire et le gyrus supra-marginalis (Price, 1998) impliqué dans le traitement phonologique et le processus, plus lent, d’assemblage. Le circuit antérieur est quant à lui centré principalement sur le gyrus frontal inférieur gauche ; il est relié aux deux circuits postérieurs (Price et al., 2001) et est impliqué dans les processus phonologique et articulatoire lors de la phase de production des mots. Chez les adultes dyslexiques, comparativement à des témoins normo-lecteurs, est mise en évidence une réduction de l’activité des circuits postérieurs. La région clé du circuit dorsal, le gyrus angulaire, montre une corrélation positive de son niveau d’activation avec les scores de lecture chez les normo-lecteurs et une corrélation négative chez les dyslexiques (Rumsey et al., 1999).

Selon Paulesu et ses collaborateurs (1996), des aires normalement activées de façon simultanée par des traitements langagiers seraient au contraire déconnectées chez les dyslexiques. Ainsi, dans deux tâches phonologiques (l’une de jugement de rimes, l’autre de mémoire à court terme), ces auteurs ont montré que la totalité des aires du langage était activée chez les bons lecteurs (cortex pariétal inférieur, dont notamment le gyrus supra-marginal, aire de Broca et aire de Wernicke, incluant le planum temporale). Les dyslexiques adultes de cette étude activaient les mêmes zones cérébrales, mais à l’économie : uniquement l’aire de Broca pour la tâche de jugement de rimes, et uniquement l’aire de Wernicke pour celle de mémoire à court terme. Les dyslexiques n’activeraient donc que les aires strictement nécessaires aux tâches phonologiques. Paulesu et ses collaborateurs suggèrent donc que ces aires du langage seraient déconnectées chez les dyslexiques et ne pourraient être activées simultanément. Un tel dysfonctionnement pourrait être à l’origine d’une disconnexion entre les procédures phonologiques par assemblage et par adressage.Des données d’imagerie en faveur de cette dysconnexion ont ensuite été publiées à propos d’enfants dyslexiques (Temple et al., 2001).Une étude en TEP (Paulesu et al., 2001) chez des adultes dyslexiques bien compensés et des témoins, de trois nationalités différentes (anglaise, italienne et française) retrouvait un défaut d’activation du circuit ventral chez les dyslexiques quelle que soit la langue.

Shaywitz et al. (2002) étudiant 144 enfants dyslexiques et témoins montraient par ailleurs que l’activité augmente avec l’âge dans les régions frontales inférieures gauches et droites chez les dyslexiques lors d’une tâche de rimes. Ces résultats sont en faveur de l’hypothèse compensatoire : l’augmentation de l’activation dans les régions frontales et/ou les régions hémisphériques droites constitue un moyen de surmonter le défaut d’engagement des régions postérieures gauches. Simos et al. (2000a, 2000b) rapportaient que la région du circuit ventral chez les enfants dyslexiques présente un niveau d’activité comparable aux témoins et que la différence se situe essentiellement au niveau du décours temporel de l’engagement de ces aires cérébrales : dans une tâche de reconnaissance de mots, l’activité neuronale 250 à 1200 ms après présentation du stimulus se poursuit vers le cortex temporal droit chez l’enfant dyslexique (Simos et al., 2000c), alors que chez les normo-lecteurs elle se propage vers les régions temporale et pariétale gauches. Ainsi, les difficultés des enfants souffrant de dyslexie développementale seraient associées à un pattern aberrant des connexions fonctionnelles entre les aires cérébrales normalement impliquées en lecture. Au total, ces résultats suggèrent une anomalie de la connectivité au sein des circuits temporo-pariéto-frontaux qui sous-tendent le langage et affectant peut-être particulièrement le circuit sous-jacent à la boucle phonologique en mémoire de travail ainsi que l’interaction entre les « circuits dorsal et ventral de la lecture » (selon la conceptualisation de Pugh et al., 2000).