7.3. Difficultés particulières pour certains types de traits et dyslexie

7.3.1. Le voisement

Dans une épreuve de détection d’intrus (une syllabe est répétée et parfois une syllabe déviante est présentée), Wehner et al. (2007) ont montré que les intrus les plus difficiles à repérés sont ceux qui diffèrent par le voisement. Cette condition requiert plus de ressources que la condition où la différence repose sur le lieu d’articulation. Cette difficulté est vérifiée aussi bien chez les enfants bons lecteurs que chez les enfants faibles lecteurs. Etant donnée cette difficulté particulière pour discriminer des stimuli verbaux selon le voisement chez des enfants sans problème d’apprentissage particulier, il se peut que ce contraste phonologique soit suffisamment difficile pour permettre à une différence entre enfants dyslexiques et enfants témoins d’être significative. Plusieurs études ont justement porté sur les difficultés à traiter cette distinction phonologique en cas de difficulté majeure d’apprentissage de la lecture.

Ainsi, les difficultés de perception catégorielle des phonèmes observées chez des enfants de 10 ans qualifiés de mauvais lecteurs dans l’étude de Bogliotti et al. (2002) ont été mises en évidence à partir de stimuli CV opposés par le contraste de voisement (/do/-/to/). Ces données contribuent à montrer que les difficultés de lecture en français peuvent être associées à un traitement atypique du trait de voisement, sans que cela permette toutefois de dire si ce trait est plus difficile à traiter que les traits de lieu ou de mode. Chez des enfants anglophones atteints d’une dyslexie phonologique, Manis et al. (1997) ont également observé une courbe d’identification sur laquelle la frontière catégorielle est moins nette que chez des enfants contrôles, de même âge ou de même niveau de lecture, pour un continuum entre deux mots qui diffèrent par le voisement de leur consonne occlusive initiale (bath-path). De même, la pente correspondant au changement de réponse dans une tâche d’identification est moins abrupte chez des enfants de 7 ans s’ils ont des difficultés à apprendre à lire, dans une expérience construite à partir d’un continuum entre deux phonèmes qui diffèrent par le voisement (/pis/-/bis/) ou (/bif/-/pif), dans l’étude de Chiappe et al. (2001). De même, toujours chez des enfants en difficulté avec l’apprentissage de la lecture, Breier et al., (2001) ont montré un déficit de perception du voisement pour des séries /ga/-/ka/.

Une perception atypique du voisement a aussi été mise en évidence dans des épreuves de discrimination, et non plus d’identification de phonèmes. Dans l’étude conduite en néerlandais par Maassen et al. (2001), nous avons vu que les enfants dyslexiques présentent un développement atypique de leur système phonologique, qui les conduit à être moins performants que les enfants de leur âge, ou des enfants plus jeunes mais de même niveau de lecture, dans une épreuve de discrimination. Dans cette tâche, leur déficit apparaît aussi bien pour le lieu que pour le voisement. Toutefois, dans une épreuve d’identification proposée aux mêmes enfants, seul le traitement du voisement est anormal chez les enfants dyslexiques. Ce résultat permettrait de s’orienter vers l’hypothèse d’une difficulté particulièrement marquée à traiter des phonèmes de manière catégorielle selon le trait de voisement pertinent pour al langue.

Toutefois, Post, Foorman et Hiscock (1997) n’observent pas de différence entre les enfants selon leur niveau de lecture pour ce qui est de la perception de différences de voisement. Ortiz et al. (2007) concluent que, actuellement, les données ne permettent pas de savoir quels sont les constrastes phonologiques qui posent le plus de problèmes aux enfants dyslexiques.

Ortiz et al. (2007) ont comparé les performances en perception de parole d’enfants dyslexiques avec celles de deux groupes contrôles : l’un pour l’âge, l’autre pour le niveau de lecture. Si les résultats des petits patients sont moins bons que ceux des deux groupes contrôles, il est alors possible d’accepter que le déficit en perception de parole ait une relation causale avec le faible niveau de lecture (Goswami, 2003). Par contre, si les performances des enfants dyslexiques sont inférieures à celles du groupe contrôle pour l’âge, mais non différentes de celles du groupe plus jeune et de même niveau de lecture, alors le résultat ne permet pas de discuter d’un lien causal entre le déficit observé et le faible niveau de lecture. Il serait alors seulement possible de dire que le niveau de perception de parole des dyslexiques n’est pas ce qu’il devrait être étant donné leur âge. Les résultats montrent que les dyslexiques sont moins performants que les deux groupes contrôles en discrimination pour chacun des 3 types de traits (lieu, voisement et mode), ce qui montre qu’il y aurait un lien causal entre la difficulté à traiter les contrastes phonologiques et la dyslexie. Mais les résultats ne permettent pas de savoir quel contraste pose clairement le plus de problèmes à ces enfants.