7.3.2. Le lieu

Nous avons évoqué plusieurs résultats montrant que les enfants dyslexiques opèrent un traitement perceptif atypique de différences entre phonèmes portant tant sur le lieu que sur le voisement (Maassen et al. 2001 ; Ortiz et al., 2007). Pour appuyer l’existence d’une anomalie dans le traitement du lieu d’articulation, nous pouvons aussi évoquer l’étude de Godfrey, Syrdal-Lasky, Millay et Knox (1981). Lorqu’il s’agit d’identifier ou de discriminer des consonnes occlusives voisées (/b, d, g/) qui diffèrent par le lieu d’articulation, ces auteurs ont montré que des enfants dyslexiques de 10 ans opèrent des catégorisations moins stables que les enfants contrôles et leurs frontières phonémiques sont moins nettement marquées. Ajoutons aussi les résultats présentés par Adlard et Hazan (1998). L’étude conduite par Joanisse, Manis, Keating et Seidenberg (2000) a évalué quant à elle l’identification pour des mots qui s’opposent par le voisement ou par le lieu d’articulation de leur consonne initiale occlusive. Ils ont eux aussi montré que la courbe d’identification pour un continuum entre les deux extrêmes présente une frontière moins abrupte pour les enfants dyslexiques que pour les enfants contrôles. Ce déficit de la perception catégorielle apparaît aussi bien pour le contraste de voisement (dug-tug) que pour celui de lieu d’articulation (spy-sky). Cependant, cette difficulté semble ne se manifester de manière significative que pour les dyslexiques atteints de troubles phonologiques massifs, comme le montraient aussi Manis et al. (1997). Chez 13 enfants dyslexiques, une série d’épreuves a aussi permis de montrer que les erreurs de discrimination portent surtout sur l’opposition entre des consonnes occlusives. Pour les couples de fricatives, ils relèvent tout de même aussi des pourcentages d’erreurs mesurables (entre 15 et 25%) pour la discrimination du voisement ou du lieu. Les paires pour lesquelles les erreurs des dyslexiques sont les plus systématiques sont des couples de nasales qui s’opposent sur le lieu (« met »-« net », « mail »-« nail », « smack »-« snack »), ainsi que des couples de fricatives qui s’opposent soit sur le lieu, soit sur le voisement (« fine »-« vine »). Les auteurs complètent ainsi les propos de Mody (1993) qui observait que les plus grandes difficultés se posaient pour les couples phonologiquement les plus similaires (différence d’un seul trait), en ajoutant que cette difficulté est encore accrue lorsque ces traits sont acoustiquement peu saillants. Il ne s’agit pas forcément de traits peu saillants parce que sous-tendus par des indices acoustiques rapides, comme le suggère le travail de Tallal ; ils peuvent être associés à des indices spectraux peu saillants.

Certains chercheurs ont suggéré que le lieu pourrait poser plus de problème aux enfants dyslexiques, car les indices acoustiques des traits de lieu sont brefs et requièrent une intégration rapide. La théorie dite ‘auditive’ de la dyslexie, qui postule un déficit du traitement de l’information séquentielle rapide, fonde ce type d’hypothèse.

Certaines données vont en ce sens. Csepe, Gyurkocza et Osman-Sagi (1998), par exemple, ont utilisé la MMN comme indice électrophysiologique de la perception d’un contraste. Ils montrent que la plupart des dyslexiques de leur étude présentent un déficit sévère du traitement des contrastes phonémiques,mais le déficit le plus courant concerne dans leur étude le lieu d’articulation. C’est aussi ce que montreraient de Gelder et Vroomen (1998, cité par Ortiz, 2007).

Toutefois, Ortiz et al. (2007) montrent que les contrastes de lieu sont discriminés de manière particulièrement exacte par tous les groupes, et que les traits de lieu ne posent pas plus de problèmes aux dyslexiques que les autres traits. Ce résultat, qui ne place pas le lieu au rang des traits les plus difficiles à traiter par les dyslexiques, est compatible avec l’hypothèse d’un déficit des représentations et du codage phonologique, plutôt qu’avec celle d’un déficit du traitement temporel de l’information acoustique dans la dyslexie.