Hiérarchie des traits phonologiques.

Notre hypothèse générale est que les traits phonologiques du français ne sont pas représentés de manière linéaire, mais sont rassemblés en catégories telles que le mode d’articulation, le lieu d’articulation et le voisement. Une hiérarchie des différents types de traits phonologiques se dégage de la littérature ainsi que des résultats des Expériences 5a, 5b et 5c. Peut-on retrouver des éléments complémentaires à propos d’une telle organisation hiérarchique à partir d’un autre type de tâche ? Cette hiérarchie se met-elle en place progressivement chez les enfants normo-lecteurs ? Ce développement est-il atypique chez les enfants dyslexiques ? Cela dépend-il du type de dyslexie présenté par l’enfant ?

Afin de tester la pertinence de telles catégories pour le système cognitif, nous avons élaboré une épreuve métalinguistique permettant d’évaluer si les participants faisaient des rapprochements entre des consonnes simplement sur la base du nombre de traits partagés ou si le partage de traits relevant de l’une ou l’autre de ces catégories introduisait des biais dans les choix (Expériences 6a et 6b). Le principe est de proposer une syllabe CV cible écrite, puis deux autres syllabes. La cible doit être appariée à l’une des deux syllabes proposées, en fonction de leur proximité phonologique. La cible partage toujours un seul trait avec chacune des syllabes proposées. Dans trois blocs séparés, nous comparons ainsi le poids implicitement accordé aux traits de voisement, lieu et mode d’articulation. L’analyse devrait permettre de savoir si les choix d’appariement dépendent seulement du nombre de traits partagés, auquel cas les réponses ne devraient pas différer du hasard dans ces situations de choix forcé. Si les participants ont par contre une préférence pour apparier les syllabes qui partagent des traits d’une certaine catégorie, cela constituera un argument pour la pertinence de cette catégorie du point de vue de la cognition, et pour la prépondérance de son statut. Peu de travaux portent directement sur cette question, mais ceux que nous avons synthétisés suggèrent que le mode d’articulation pourrait être la catégorie la plus organisatrice chez les adultes et les enfants normo-lecteurs. Nous prédisons donc qu’ils apparieront plus fréquemment les syllabes en fonction du partage de mode, plutôt que du partage de lieu ou de voisement ( Hypothèse 13 ). Nous posons aussi l’ Hypothèse 14 d’une mise en place progressive de la hiérarchie des catégories de traits comme critère d’organisation des consonnes chez les enfants pendant la période où ils apprennent à lire. Enfin, nous supposons que les enfants dyslexiques présentent une organisation différente de ces trois catégories de traits, et des anomalies particulièrement marquées sont attendues chez les enfants présentant une dyslexie de type phonologique plutôt qu’une dyslexie de type surface ( Hypothèse 15 ).

L’objectif de ce travail de thèse est donc de confirmer l’intervention de la phonologie dans les étapes précoces du processus de reconnaissance de mot écrit, de préciser la nature des connaissances impliquées et de connaître quelques-unes des contraintes pour leur intervention : quel est le décours temporel des activations phonologiques et comment varient-elles selon les types de traits ? D’autre part, cette thèse vise à apporter des arguments en faveur de l’existence de troubles phonologiques chez les enfants dyslexiques, à préciser certaines anomalies de leurs représentations au niveau infra-phonémique, tout en tenant compte de disparités possibles dans ces anomalies selon le type de dyslexie.