2.5.3. Discussion

Comme dans l’expérience précédente (Expérience 3a), les lecteurs détectent plus facilement C1 que C2 dans un stimulus écrit, reflétant bien un traitement relativement séquentiel des deux syllabes du pseudo-mot présentées successivement (Juphard et al., 2006).

Comme précédemment, la ressemblance de voisement affecte la détection de C2, avec une durée de présentation des syllabes ici de 66 ms. Nous observons un amorçage facilitateur classique, témoignant d’effets basés sur des relations inter-niveaux entre les unités-phonèmes et les unités-traits. La configuration des résultats de ces deux Expériences 3a et 3b conforte donc notre hypothèse 5 : nous disposons maintenant de données témoignant du premier mécanisme décrit dans notre modèle chez l’adulte (Bedoin, 2003 ; Bedoin & Krifi, 2009). Dans ce modèle, les unités-lettres activeraient rapidement les unités-phonèmes, activant elles-mêmes les unités-traits phonologiques, qui renforceraient les activations des phonèmes et des lettres en retour. Ainsi, ce premier mécanisme produirait des effets facilitateurs en cas de ressemblance phonologique entre C1 et C2.

Nous confirmons ici, avec un temps de présentation de chaque syllabe de 66 ms, que la mise en œuvre de relations d’inhibition latérale pourrait être favorisée, voire conditionnée, par la concurrence directe entre les lettres en présence. Une présentation successive de chacune des syllabes n’encouragerait pas le développement de ce mécanisme basé sur les relations d’inhibition latérale et permettrait un traitement plus indépendant des deux syllabes. Le mécanisme intra-niveau ne se développerait pas suffisamment pour réduire les performances sur le traitement de C2 en cas de partage de voisement avec C1, si C1 disparaît avant C2. Il laisserait place au premier mécanisme de notre modèle, le mécanisme inter-niveaux (Krifi-Papoz, 2009).

L’ensemble de ces cinq expériences (Expériences 2a, 2b et 2c, et Expériences 3a et 3b) permet donc de mettre en évidence l’existence de deux mécanismes phonologiques en lecture chez les adultes bons lecteurs. Le premier mécanisme, intervenant précocément, est basé sur des relations inter-niveaux (bottom-up) : les lettres, extraites du stimulus écrit, activent les phonèmes correspondants et concurrents, activant eux-mêmes les traits phonologiques, qui renforcent les phonèmes et les lettres en retour. Ce premier mécanisme produit un effet facilitateur pour le traitement d’une deuxième consonne si elle partage des traits avec une première. Nous le montrons ici particulièrement pour le partage du voisement. Le second mécanisme, plus tardif, est basé sur des relations intra-niveau d’inhibition latérale entre phonèmes : par le biais de ces relations, une première consonne inhiberait ses concurrents, c’est-à-dire les consonnes partageant des traits phonologiques avec elle, permettant ainsi de contrer les phénomènes de compétition en lecture. Ce second mécanisme ne peut donc que donner lieu à une gêne pour le traitement d’une deuxième consonne si elle partage le trait de voisement avec une première.