3.3. Discussion

Nous observons dans cette expérience un effet du Rang, c’est-à-dire une meilleure identification de la première syllabe par rapport à la deuxième. Cela suggère que les stimuli ont été traités séquentiellement, comme cela a déjà été montré dans la lecture de pseudo-mots en français (Juphard, Carbonnel, Ans & Valdois, 2006).

Cette Expérience 4 montre que la prononciation de la deuxième syllabe est affectée par celle d’une première syllabe, alors que l’inverse n’est pas vrai. Plus particulièrement, il apparaît que les performances pour la lecture de la deuxième syllabe sont modulées par sa ressemblance de voisement avec la première syllabe. Les performances pour C2V sont plus élevées en cas de partage de voisement. Cet effet de ressemblance phonologique, qui va dans le sens de notre hypothèse (hypothèse 6), n’est toutefois pas significatif. Il doit donc être interprété avec prudence et ne suffit pas pour affirmer qu’un amorçage phonologique facilitateur classique intervienne précocement, sur la base du partage du voisement, dans le traitement d’un stimulus écrit.

L’analyse de la proportion des réponses erronées qui préservent le trait de voisement de C2 révèle quant à elle des effets plus fiables. Conformément à notre attente (hypothèse 7), le pourcentage d’erreurs préservant le voisement est en effet plus important en cas de ressemblance de voisement entre C1 et C2 qu’en cas de différence. Cet effet est cohérent avec l’hypothèse de l’intervention rapide d’un amorçage phonologique facilitateur, basé sur le partage du voisement, en lecture (Bedoin, 2003).

Cet effet concorde également avec notre prédiction concernant un phénomène d’harmonie consonantique progressive, et non régressive, à des étapes précoces du traitement de stimuli écrits. Cette assimilation asymétrique du trait de voisement pourrait être la source de nombreuses erreurs de lecture. Selon notre modèle, si l’on considère que cette assimilation relève d’un premier mécanisme phonologique, l’existence d’une second mécanisme phonologique pourrait être justifiée par sa capacité à contrecarrer les erreurs de lecture suscitées par le premier (Bedoin & Krifi, 2009). Rappelons que ce second mécanisme serait basé sur des relations d’inhibition latérale dont le poids est proportionnel à l’importance du partage de traits par les phonèmes du stimulus. Ce mécanisme produirait l’effet contraire au phénomène d’assimilation progressive, ici source d’erreurs. En mettant à jour la tendance primordiale à produire des erreurs de lecture par harmonie consonantique progressive, l’Expérience 4 conforte l’idée selon laquelle le mécanisme inhibiteur est véritablement utile au lecteur, pour qui il contrecarre une source d’erreurs.

Des travaux similaires ont été réalisés dans notre équipe en manipulant cette fois la ressemblance des consonnes en terme de mode d’articulation (Bedoin & dos Santos, 2008). Comme pour le voisement, le pourcentage d’erreurs préservant le mode dans le rappel de la deuxième syllabe tend à être plus important en cas de partage de mode entre C1 et C2. Néanmoins, cet effet d’harmonie consonantique progressive entre C1 et C2 pour le trait de mode est de taille moins importante que pour le voisement. Toutefois, comme pour le voisement, cet impact de la ressemblance de mode est plus important sur le rappel de la deuxième syllabe que sur celui de la première. De plus, cette étude de Bedoin et dosSantos (2008) montre que, d’une manière générale, à travers l’ensemble des réponses, le trait de mode est mieux préservé que le trait de voisement. Ainsi, la hiérarchie de la préservation de traits phonologiques dans ce genre d’expérience suggère une meilleure efficience de l’extraction du mode en lecture, effet qui sera discuté plus loin (discussion générale : chapitre 4) au regard de la littérature concernant les différences de statut des catégories de traits phonologiques.