4.1.3. Discussion

Nous observons un effet massif du rang de la consonne : la première consonne (C1) est identifiée à la fois plus rapidement et plus précisément que de la deuxième (C2). Bien qu’elles soient peu nombreuses, les lettres sont difficilement identifiables en parallèle, de façon automatique, car elles constituent un pseudo-mot qui n’a pas de représentation lexicale. Aussi cet effet du rang des lettres est vraisemblablement dû à la séquentialité de leur traitement de gauche à droite. Les participants doivent utiliser la voie analytique et donc opérer un traitement séquentiel (Juphard, Carbonnel, Ans & Valdois, 2006).

L’objectif de l’expérience était de tenter de répliquer les effets de partage du trait de voisement par les deux consonnes d’un stimulus CVCV écrit dans une tâche imposant un traitement précis de la position de chaque lettre. A cet égard, nos hypothèses sont partiellement vérifiées. En effet, le partage du voisement par les deux consonnes ralentit l’identification de la deuxième consonne, conformément à l’hypothèse 8. Cet effet n’apparaît cependant que si les consonnes sont toutes les deux occlusives mais pas si elles sont fricatives. L’effet négatif de la ressemblance de voisement sur la deuxième consonne est conforme à ce que prédit l’hypothèse de la mise en jeu de relations d’inhibition latérale au niveau phonémique (Bedoin & Krifi, 2009), mais les résultats de cette expérience suggèrent que cette ressemblance de voisement n’est pas toujours traitée de la même façon : le mode d’articulation des consonnes impliquées module cet effet. Ce résultat montre donc un statut prépondérant du mode, qui est cohérent avec certaines données de la littérature : Peters (1963) montre que le mode est un critère majeur pour estimer la ressemblance entre deux consonnes entendues, ou pour les discriminer (Stevens, 2002).

En revanche, nous ne retrouvons pas d’effet de la ressemblance de voisement pour la première consonne, en particulier pas de facilitation dans l’identification de  la première consonne en cas de ressemblance de voisement : notre hypothèse 9 n’est donc pas vérifiée.

Dans cette partie expérimentale, il s’agit de vérifier que les lecteurs sont sensibles au partage de différents traits phonologiques par les consonnes de stimuli écrits, et non plus seulement au partage du voisement. L’Expérience 5a a apporté des arguments favorables à la sensibilité au partage du voisement, avec un effet pouvant s’expliquer par la mise en jeu de relations d’inhibition latérale entre phonèmes. Nous proposons l’Expérience 5b afin de tester la sensibilité des lecteurs au partage du trait de mode, avec la même hypothèse que pour le voisement, basée sur le modèle de lecture que nous proposons et selon lequel les adultes bons lecteurs ont élaboré une organisation des phonèmes intégrant des relations d’inhibition latérale dont le poids varie avec les traits phonologiques partagés par les phonèmes.