5. Organisation de catégories de traits phonologiques : Expériences d’appariement de syllabes (Expériences 6a et 6b)

Nous avons mené l’Expérience 6 auprès de trois groupes : des adultes normo-lecteurs (Expérience 6a), des enfants normo-lecteurs de CE1 et de CE2 ainsi que des enfants dyslexiques (Expérience 6b). Nous souhaitions répondre essentiellement à des questions concernant l’organisation des traits dans le système de représentations phonologiques. Notre hypothèse générale était que les traits phonologiques du français ne sont pas représentés de manière linéaire, mais sont rassemblés en catégories telles que le mode d’articulation, le lieu d’articulation et le voisement.

Afin de tester la pertinence de telles catégories pour le système cognitif, nous avons élaboré une épreuve métalinguistique permettant d’évaluer si les participants faisaient des rapprochements entre des consonnes simplement sur la base du nombre de traits partagés ou si le partage de traits relevant de l’une ou l’autre de ces catégories introduisait des biais dans les choix. Le principe est de proposer une syllabe CV cible écrite, puis deux autres syllabes. La syllabe cible doit être appariée à l’une des deux autres en fonction de la proximité de leurs représentations phonologiques. La cible partage toujours un seul trait avec chacune des syllabes proposées. Dans trois blocs séparés, les deux propositions partagent avec la cible des traits de catégories différentes. L’analyse devrait permettre de savoir si les réponses dépendent seulement du nombre de traits partagés, auquel cas, dans cette situation de choix forcé, les réponses ne devraient pas différer du hasard. Si les participants ont une préférence pour apparier les syllabes qui partagent des traits d’une certaine catégorie, cela constituera un premier argument pour la pertinence de cette catégorie du point de vue de la cognition.

Un autre argument pourrait conforter l’hypothèse de véritables catégories de traits phonologiques. La catégorie de lieu est par exemple représentée dans l’expérience par trois valeurs (labial, dental, vélo-palatal). Un biais favorisant dans de mêmes proportions toutes les valeurs d’une même catégorie de traits, par rapport à une autre catégorie, serait le gage d’une cohérence des réponses et témoignerait d’un véritable comportement catégoriel.

Par ailleurs, nous avons vu que certaines données de la littérature suggèrent l’existence d’une organisation hiérarchique de telles catégories de traits phonologiques. En évaluant le poids implicitement attribué à trois catégories de traits fondamentaux pour les consonnes du français, nous testerons quelques hypothèses sur leurs relations. Peu de travaux portent directement sur cette question, mais ceux que nous avons synthétisés suggèrent que le mode d’articulation pourrait bien être la catégorie de trait la plus organisatrice chez les adultes et les enfants normo-lecteurs. Nous prédisons donc qu’ils apparieront plus fréquemment les syllabes en fonction du partage de mode, plutôt que du partage de lieu ou de voisement (hypothèse 13). Etant donnée la modalité de présentation visuelle du matériel, le lieu d’articulation pourrait avoir un statut plus important que le voisement (Hebben, 1986), mais la relation hiérarchique entre lieu et voisement est sans doute moins claire que celle qui place vraisemblablement le mode au sommet.

Nous faisons aussi l’hypothèse que la hiérarchie des catégories de traits comme critère d’organisation des consonnes se mettrait en place progressivement chez les enfants pendant la période où ils apprennent à lire (hypothèse 14). Les exigences de cette activité, en termes de précision et d’organisation des connaissances phonologiques, amèneraient sans doute l’enfant à raffiner l’élaboration de cette hiérarchie. Nous supposons que les enfants dyslexiques présentent une organisation différente de ces trois catégories de traits phonologiques, et des anomalies particulièrement marquées sont attendues chez les enfants présentant une dyslexie de type phonologique plutôt qu’une dyslexie de type surface (hypothèse 15).

Enfin, nous proposons ces Expériences 6a et 6b dans deux modalités : une modalité seulement visuelle et une modalité audio-visuelle dans le but de tester la persistance des résultats avec l’ajout d’informations auditives. La partie en audio-visuel a été proposée à un petit groupe d’adultes bons lecteurs età un groupe d’enfants normo-lecteurs de CE2.