b) Le lieu d’articulation

D’après les tests binomiaux, la ressemblance sur chacun des traits de lieu considérés individuellement n’est jamais la plus choisie, quand les concurrents sont considérés dans leur ensemble. Par ailleurs, comme l'illustre la Figure 26, les trois traits de lieu ne se distinguent pas les uns des autres quant à leur attractivité et les tests de Wilcoxon ne font ressortir aucune différence significative entre les pourcentages de choix qu’ils suscitent : ils semblent en cela représenter la catégorie de lieu de manière relativement homogène.

La préférence pour le lieu d’articulation est plus forte quand elle est en concurrence avec le voisement qu’avec le mode, T = -3.70, p = .0002. Cette disproportion s’explique sans doute par la très forte attraction exercée par le mode, que le lieu soit représenté par les traits labial, dental ou vélo-palatal (voir Figure 27, panel de gauche, et Figure 27 bis, panel de gauche) ou que le mode soit représenté par le trait occlusif ou fricatif (voir Figure 28) dans les deux versions visuelle et audio-visuelle.

Figure 26 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand le lieu est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. (Version visuelle)
Figure 26 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand le lieu est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. (Version visuelle)
Figure 27 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand il est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal, lorsque la concurrence vient d’une ressemblance de mode (à gauche) ou de voisement (à droite). Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages supérieurs au hasard. (Version visuelle)
Figure 27 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand il est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal, lorsque la concurrence vient d’une ressemblance de mode (à gauche) ou de voisement (à droite). Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages supérieurs au hasard. (Version visuelle)
Figure 27 bis : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand il est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal, quand la concurrence vient d’une ressemblance de mode (à gauche) ou de voisement (à droite). Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. L’étoile représente les pourcentages différents du hasard. (Version audio-visuelle)
Figure 27 bis : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier, quand il est représenté par le trait labial, dental ou vélo-palatal, quand la concurrence vient d’une ressemblance de mode (à gauche) ou de voisement (à droite). Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. L’étoile représente les pourcentages différents du hasard. (Version audio-visuelle)
Figure 28 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de mode représentée par le trait occlusif ou fricatif. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. (Version visuelle)
Figure 28 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu pour apparier quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de mode représentée par le trait occlusif ou fricatif. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. (Version visuelle)

Toutefois, la ressemblance de lieu attire plus de choix que la ressemblance de voisement dans la version visuelle (bloc Voisement-Lieu, Binomial < .0001, p = .50). Dans cette dernière opposition entre lieu et voisement, la Figure 27 montre que la ressemblance entre deux consonnes labiales est plus attractive que la ressemblance de voisement (Binomial < .0001, p = .50), c’est aussi le cas pour la ressemblance entre deux dentales (Binomial = .0004, p = .50), ou entre deux vélo-palatales (Binomial < .0108, p = .50). Les différences observées sur la Figure 27 suggèrent que les choix dans la version visuelle sont d’autant plus orientés vers la ressemblance de lieu que ce lieu est antérieur, mais la différence entre les pourcentages de réponses guidées par les traits labial et vélo-palatal n’atteint toutefois pas le seuil de significativité. En revanche, dans la version audio-visuelle, la ressemblance de lieu n’attire pas plus de choix que la ressemblance de voisement  (bloc Voisement-Lieu, Binomial = .21, p = .50). Au contraire, la Figure 20 bis montre que la ressemblance de voisement est plus attractive que la ressemblance entre deux consonnes dentales (Binomial = .0005 p = .50). Pour les deux autres traits de lieu (labial et vélo-palatal), il n’y a pas de préférence significative pour le lieu ou pour le voisement.Les différences observées sur la Figure 20 bis suggèrent que les choix des participants dans la version audio-visuelle sont d’autant plus orientés vers la ressemblance de voisement que ce lieu est dental, mais la différence entre les pourcentages de réponses guidées par les traits labial et dental, ou dental et vélo-palatal n’atteint toutefois pas le seuil de significativité.

Enfin, la préférence pour la ressemblance de lieu plutôt que de voisement est significative aussi bien quand le voisement est représenté par le trait sonore (Binomial = .0055, p = .50) que par le trait sourd (Binomial < .0001, p = .50) dans la version visuelle, et il n’y a pas de différence significative entre ces deux cas, T = -1.55, p = .12 (Figure 29). En revanche, dans la version audio-visuelle, le lieu a tendance à être préféré au voisement seulement lorsque le voisement est représenté par le trait sourd (Binomial = .0880, p = .50), alors que le voisement est préféré au lieu lorsqu’il s’agit du trait sonore (Binomial = .0002, p = .50), comme le montre la Figure 29 bis. Il y a de plus une différence significative entre les deux traits de voisement, T = -2.42, p = .0185.

Figure 29 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu comme critère d’appariement quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de voisement représentée par les traits sourd et sonore. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages qui se différencient du hasard.
Figure 29 : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu comme critère d’appariement quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de voisement représentée par les traits sourd et sonore. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages qui se différencient du hasard. (Version visuelle)
Figure 29 bis : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu comme critère d’appariement quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de voisement représentée par les traits sourd et sonore. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages qui se différencient du hasard.
Figure 29 bis : Pourcentages de choix de ressemblance de lieu comme critère d’appariement quand ce trait est en concurrence avec la ressemblance de voisement représentée par les traits sourd et sonore. Les barres d’erreurs représentent les intervalles de confiance à 95%. Les étoiles représentent les pourcentages qui se différencient du hasard. (Version audio-visuelle)

En bref, dans la version visuelle, la ressemblance de lieu est traitée de façon relativement homogène, quel que soit le trait qui représente cette catégorie : elle semble avoir un statut intermédiaire entre la position élevée du mode et celle du voisement. Dans la version audio-visuelle, la catégorie de lieu semble également assez homogène ; en revanche, elle n’occupe pas vraiment de statut intermédiaire entre le mode, qui est toujours au sommet des choix, et le voisement qui occupe une place plus importante dans cette modalité audio-visuelle. En condition audio-visuelle, la différence entre les statuts du lieu et du voisement s’estompe.