1.3. Rôle de la présence simultanée des lettres sur l’engagement des relations d’inhibition latérale

Le choix de tester les effets de similarité phonologique entre les consonnes d’un stimulus unique permettait de se rapprocher de conditions de lecture habituelles. Toutefois, la présence simultanée des deux syllabes n’est pas anodine dans le déclenchement de ces mécanismes. Nous l’avons vérifié en conduisant des expériences dans lesquelles la première syllabe du stimulus CVCV était d’abord présentée seule, puis disparaissait avant une présentation également très brève de la deuxième syllabe, isolée sur la droite. Nous avons montré que, dans ces conditions de présentation qui empêchent le traitement en parallèle des lettres et réduisent la concurrence entre les syllabes, les effets produits par le partage de traits phonologiques entre les syllabes s’expliquent par un mécanisme d’activation, mais pas du tout par un mécanisme inhibiteur. En effet, le partage du voisement avec C1 améliore le traitement de C2, qui est alors traitée à la fois plus rapidement et plus précisément. La séparation de la présentation des syllabes n’encourage doncpas le développement du mécanisme basé sur les relations d’inhibition latérale.

La séparation à la fois temporelle et spatiale est sans doute à l’origine de ce blocage du mécanisme basé sur les inhibitions latérales. En effet, les expériences réalisées avant cette thèse avaient montré des effets explicables par ce mécanisme, bien que la similarité phonologique concerne des consonnes présentées dans des mots qui se succédaient (séparation seulement temporelle). Les deux stimuli se succédaient toutefois dans le même emplacement, ce qui n’est pas le cas pour les deux syllabes dans l’Expérience 3a. Il semble que la présentation clairement séparée des deux syllabes, à la fois temporellement et spatialement, permette un traitement plus indépendant des deux syllabes. En revanche, la plus grande rapidité de déclenchement du premier mécanisme lui permet de se produire, même dans de telles conditions. Outre les précisons apportées sur les conditions de simultanéité favorables à la mise en jeu des relations d’inhibition latérale, cette expérience confirme donc aussi l’existence d’un mécanisme phonologique activateur plus précoce, basé sur la similarité de voisement entre des phonèmes, et que des conditions expérimentales très exigeantes permettent de mettre à jour ici. Il s’agit de notre premier argument au sujet d’un mécanisme phonologique rapide, transitoire, de type activateur et basé sur le voisement, chez des adultes bons lecteurs.

En bref, l’ensemble de ces expériences contribue à mettre en évidence l’existence de deux mécanismes phonologiques participant à l’identification des mots écrits chez les adultes bons lecteurs : un premier mécanisme facilitateur, précoce, entre unités-phonèmes et unités-traits phonologiques (relations inter-niveaux), qui laisserait place à un second mécanisme d’inhibition latérale entre unités phonémiques (relations intra-niveau), plus tardif.