1.5.1. Anomalie du traitement phonologique en lecture, au niveau des traits ?

Les effets d’amorçage et de masquage entre C1 et C2 observés sur l’ensemble des enfants dyslexiques testés dans l’Expérience 1 ne permettent pas de penser qu’un niveau de connaissances sur des phonèmes organisés par des relations d’inhibitions latérales, dont le poids varierait en fonction des traits partagés, soit systématiquement intervenu. En effet, les résultats montrent que la ressemblance de voisement entre les deux consonnes n’inhibe pas le traitement de C2 ; elle le facilite même, alors qu’elle ne facilite pas le traitement de C1, ce qui est compatible avec l’intervention du premier mécanisme phonologique, décrit dans notre modèle comme un mécanisme activateur.

En cela, nos résultats diffèrent de ceux de Rebattel (2001) qui concluait à une absence de sensibilité des enfants dyslexiques à des ressemblances infra-phonémiques en lecture. Sa conclusion doit donc être modulée. Nous pensons que des enfants dyslexiques peuvent être sensibles aux ressemblances de voisement, tout au moins lorsque ces ressemblances concernent des lettres composant un même stimulus. Dans l’expérience de Rebattel, les stimuli entre lesquels les ressemblances étaient manipulées n’étaient pas les deux consonnes d’un même stimulus, mais les consonnes initiales de deux syllabes présentées successivement (et très rapidement) au même endroit sur l’écran, ce qui était sans doute trop difficile pour ces enfants, surtout du point de vue des traitements temporels posant vraisemblablement problème aux enfants dyslexiques.

La facilitation du traitement de C2 en cas de partage de voisement, observée sur le groupe complet de dyslexiques, est un effet que nous avions déjà observé dans des travaux préalables et ils semblent témoigner d’une certaine immaturité dans le traitement de l’écrit. Ainsi, de meilleures performances en cas de ressemblance de voisement pour le traitement de C2 ont été observées non seulement chez les dyslexiques testés dans notre thèse, mais aussi chez les enfants normo-lecteurs de CE1. Cet effet facilitateur produit par le partage de voisement disparaît dès le CE2 au profit d’un effet inhibiteur, qui se maintient en CM2 et chez l’adulte (Krifi, Bedoin & Herbillon, 2004). Aussi, considérés dans leur ensemble, les résultats des enfants dyslexiques de notre étude présentent une configuration proche de celle des enfants beaucoup plus jeunes (scolarisés en CE1), mais clairement différente de celle des enfants les plus proches pour l’âge (scolarisés en CM2). Un appariement précis des enfants dyslexiques de notre étude avec un groupe d’enfants appariés en niveau de lecture et un groupe d’enfants appariés en âge chronologique est en cours et pourrait permettre de le confirmer. L’absence d’organisation des connaissances phonologiques à un niveau infra-phonémique selon des relations d’inhibition latérale chez les enfants dyslexiques permet en tout cas de penser que l’apprentissage réussi de la lecture n’est pas étranger à ce raffinement de l’organisation des connaissances phonologiques. Pour aller plus loin, considérés dans leur globalité, sans diagnostic différentiel du type de dyslexie, nous voyons qu’il serait possible de conclure, sans doute hâtivement, à une sensibilité des enfants dyslexiques à des similarités phonologiques extrêmement fines, infra-phonémiques. On pourrait aussi très vite conclure à un retard dans l’établissement d’une organisation phonologique (basée sur des inhibitions entre phonèmes) susceptible d’aider à contrer des erreurs de lecture induites par cette sensibilité initiale à la similarité phonologique et à des phénomènes d’harmonie progressive. Nous pouvons cependant moduler ces interprétations, grâce à une distinction établie entre deux types de dyslexiques dans notre échantillon.