2.3. Anomalie dans l’organisation hiérarchique des catégories de traits phonologiques chez les enfants dyslexiques

L’objectif de l’Expérience 6b était de préciser les spécificités de l’organisation des catégories de traits phonologiques des enfants dyslexiques par rapport à celles d’enfants ne présentant pas leurs difficultés. Des perturbations de l’organisation hiérarchique des catégories de traits sont apparues chez eux, dans des épreuves métaphonologiques. Les résultats de nos expériences d’appariement de syllabes montrent des anomalies particulièrement marquées chez les enfants présentant une dyslexie de type phonologique plutôt qu’une dyslexie de type surface.

Chez les enfants dyslexiques de surface, la ressemblance de mode est plus attractive que la ressemblance de voisement, mais aussi que la ressemblance de lieu. Ces indices d’un attrait particulier pour le mode d’articulation montrent un début d’organisation des connaissances sur les traits phonologiques chez ces enfants. Comme les dyslexiques phonologiques et les enfants les plus jeunes, les dyslexiques de surface ne laissent pas de côté la ressemblance de lieu, comme le font plus tard les adultes. Nous n’avons pas pour l’instant les moyens de savoir quand, exactement, l’attraction par le partage de lieu s’amoindrit lors d’un développement typique (il faudrait pour cela tester des enfants normo-lecteurs plus âgés). Chez les dyslexiques de surface, les ressemblances de lieu et de voisement ne semblent pas (encore) avoir de poids différent. Dans cette forme de dyslexie, la hiérarchie des types de traits est immature essentiellement sur cet aspect : c’est une anomalie qui les distingue des dyslexiques phonologiques.

Le résultat le plus surprenant apparaît chez les dyslexiques phonologiques, chez qui les rapports hiérarchiques des catégories sont plus atypiques, avant tout parce que la ressemblance de mode ne domine ni la ressemblance de lieu, ni la ressemblance de voisement. Cette relative insensibilité au mode est particulièrement visible dans les cas de choix entre les ressemblances de mode et de lieu : les dyslexiques phonologiques sont le seul groupe pour lequel le mode n’est pas alors choisi. Il semble donc que les dyslexiques phonologiques accordent trop peu d’importance au mode, sans doute parce que le lieu est un aspect phonologique pour eux trop central. C’est ce que confirme l’analyse comparant l’effet de concurrence exercée par le partage du lieu ou du voisement, la ressemblance de lieu apparaissant alors comme excessivement attractive, même par rapport aux effets chez l’adulte.Ces résultats confortent donc l’idée d’une prégnance particulièrement forte de la ressemblance de lieu pour les dyslexiques phonologiques, et d’une sensibilité anormalement faible à la ressemblance de mode.

Nous montrons donc une organisation différente des trois catégories de traits phonologiques chez les enfants dyslexiques, et des anomalies particulièrement marquées chez les enfants présentant une dyslexie de type phonologique plutôt qu’une dyslexie de type surface. Nous apportons ainsi un argument supplémentaire à la pertinence de la distinction entre les types de dyslexie chez l’enfant, dans la mesure où les enfants dyslexiques phonologiques présentent une organisation hiérarchique des catégories de traits phonologiques différente de celle des enfants dyslexiques de surface.

Ce travail de thèse met donc en évidence des différences, en fonction du type de dyslexie, quant aux anomalies des traitements et de l’organisation des connaissances phonologiques. Cela a un intérêt sur le plan clinique en neuropsychologie pour le diagnostic différentiel entre dyslexie avec trouble phonologique et sans trouble phonologique. Des outils, utilisant et étudiant les mécanismes phonologiques que nous décrivons tout au long de ce travail de thèse, pourraient être développés et servir de tests neuropsychologiques dans la pratique clinique.