1.3. Les débats autour du dispositif VIRAGE.

Du côté de l’Ordre des avocats, deux questions étaient posées bloquant le démarrage des groupes :

Quant aux effets de la bonne volonté du mis en cause sur le jugement et la sanction, cela était laissé à la libre appréciation du Tribunal. Le Tribunal devait avoir seulement connaissance de la présence ou de l’absence du mis en cause à ces séances de groupe.

Lors de l’entretien préalable que les deux animateurs conduisaient avec chaque mis en cause adressé par le Parquet, tout cela devait être expliqué. Cet entretien préalable n’eut lieu que lors de la phase expérimentale du dispositif (durant les cinq premiers groupes).

Enfin, la question de l’obligation de participation à ces groupes fut posée au Procureur de la République qui, au nom de la présomption d’innocence pour les mis en cause n’étant pas passés devant le Tribunal, refusa que ceux-ci soient convoqués sous la forme d’une obligation à ces groupes. Par contre, le Parquet n’émit pas d’objection à ce qu’une telle obligation soit requise pour les auteurs de violences condamnés ou pour les personnes en classement sous conditions. Nous repréciserons plus loin ces aspects juridiques.

Pendant ce temps, un débat interne à l’association Solidarité Femmes eut lieu non seulement localement mais aussi dans les instances nationales. La question de la légitimité de l’intervention en direction des auteurs de violences fut en discussion au sein de l’association. Etait-ce dans les missions d’une association prenant en charge les femmes victimes de violences, de s’occuper de leurs agresseurs, parfois de leurs bourreaux ?

Par ailleurs, le temps passé, les crédits, l’énergie déployée, tout cela n’allait-il pas grever lourdement le nécessaire et prioritaire soutien aux victimes ?

Enfin se posait la question de l’efficacité de cette action. Ces « hommes violents » que les victimes cherchaient à fuir par tous les moyens allaient-ils revenir dans les permanences de l’association, sur les lieux mêmes où les femmes victimes trouvaient protection et sécurité ? Ces hommes étaient-ils capables de changer, eux que le système social de domination masculine autorisait ou portait à la violence ? Quelle attitude adopter vis-à-vis de ces hommes ? Quels moyens mettre en œuvre ? Vivant souvent des situations de harcèlement violent de la part de maris jaloux ou colériques, les permanentes de l’association exprimaient de fortes peurs bien légitimes.

La crainte des responsables de l’association Solidarité Femmes Loire était que cette prise en compte devienne une sorte de prise en charge bienveillante des agresseurs et dévoie la mission des militantes, que l’empathie manifestée à ces agresseurs trouble et détourne le sens de leur mission, et enfin que les crédits consacrés à ces agresseurs viennent à manquer pour la protection des victimes.

Malgré ces craintes et ces questions, l’association Solidarité Femmes Loire accepta de s’engager avec notre Service de Médecine Légale du Centre Hospitalier Universitaire de Saint-Etienne dans une expérimentation au bout de laquelle nous ferions ensemble un bilan pour décider de la suite à donner. Le Comité de Pilotage mis en place dès décembre 2001 devait être le lieu de décision.

Il restait de ce débat la conviction que le secteur « Auteurs de violences conjugales » devait être très clairement séparé du secteur « Femmes - victimes de violences conjugales ». Les intervenants comme les lieux d’entretiens ou de réunions devaient être démarqués, ce qui n’était pas sans poser des problèmes … En effet, les intervenantes de Solidarité Femmes ne pouvaient plus tenir des permanences pour les femmes victimes si elles animaient de tels groupes, car elles risquaient d’être en contact avec la conjointe de l’un des membres du groupe. Cette volonté de démarquage traduisait dans l’esprit de nombreuses responsables de l’association, une certaine ambivalence, ambivalence que l’on retrouvera dans l’historique du dispositif et tout au long de sa mise en œuvre.

Pour nous concepteurs du projet, pourtant, l’animation de ces groupes d’auteurs de violences conjugales devait être réalisée par des personnes en contact avec des victimes de violences conjugales. Car la clinique des violences conjugales et familiales a des caractéristiques particulières chez les victimes (sentiment de honte, de culpabilité, d’hésitation à rompre etc.) que les mis en cause allaient reprendre en leur faveur. Dans notre positionnement au niveau de l’animation des groupes proprement dite, il convenait de différencier l’attitude face à la victime et celle face à l’agresseur. La psychologisation du vécu de l’agresseur pouvait conduire à lui manifester aide et compassion, c’est ce dont les animateurs de ce dispositif devaient se défendre dans l’intérêt même des agresseurs. Pour les concepteurs du projet, la directrice de l’association et nous-même, psychologue au Service de Médecine Légale, l’animation de ces groupes devait aussi être assurée par un binôme homme/femme, comprenant ainsi une travailleuse sociale issue de l’association Solidarité Femmes Loire et un psychologue ayant une pratique d’aide aux victimes de violences conjugales. La seule obligation pour les animateurs était de transmettre au Parquet du Procureur de la République la feuille de présence signée par les participants.

Les questions posées par ce dispositif étaient complexes : pourquoi avions-nous d’emblée opté pour une formule groupale ? Est-ce que cinq séances de deux heures lors de la phase expérimentale, puis dix séances lors de la deuxième phase, permettraient aux participants de prendre conscience de la gravité de leur acte et ne plus reproduire la violence ? N’était-il pas illusoire de pouvoir atteindre de tels objectifs en quelques dix heures ou vingt heures de réflexion en groupe ? Le volontariat comme l’obligation allaient-ils être des obstacles à une participation des mis en cause ? Ces derniers n’allaient-ils pas venir dans le but d’espérer obtenir une remise de peine pour leur jugement, mettant en avant une évidente bonne volonté, biaisant ainsi le travail du groupe ? Sinon, pour quelle raison viendraient-ils passer cinq soirées après parfois une dure journée de travail ? Comment positionner ces séances de groupe ? Comme des séances de thérapie ? Etait-ce un groupe de parole ? Un groupe d’expression ? Un groupe de prévention ? A ce propos, le rapport Coutanceau (mars 2006) prône l’appellation de « Groupe de responsabilisation ».

De même, devions-nous parler d’agresseurs, de mis en cause, d’hommes violents, de conjoints violents, ou d’auteurs de violences ?

A la suite de ces questions de définition, il convient à présent de préciser la problématique et les objectifs de cette recherche.