1.3. Les violences conjugales sont-elles liées à des facteurs sociaux ?

L’enquête ENVEFF conclut à la présence des violences conjugales dans l’ensemble des milieux sociaux.

Cependant quelques résultats montrent l’influence du milieu social sur les violences.

Tableau 2 – Le travail des femmes.
Catégorie socio professionnelle et statut d’activité Taux global
Actives occupées
Agricultrices, artisanes, commerçantes, chefs d’entreprise 7.7
Cadres, professions intellectuelles 9.4
Professions intermédiaires 8.6
Employées 8.5
Ouvrières 8.1
Chômeuses ou inactives
Chômeuses indemnisées 12.8
Chômeuses non indemnisées 15
Etudiantes 12.2
Retraitées 15.5
Inactives ayant travaillé et en congé de longue durée 10.7
Inactives n’ayant jamais travaillé 8.2
ENSEMBLE 9.5

Source : Brown, Fougeyrollas-Schwebel & Jaspard, 2002.

Au vu de ce tableau, peut-on soutenir que les violences conjugales, si elles sont présentes dans tous les milieux sociaux, soient indépendantes des facteurs sociaux ? Certes, on est loin de l’équation classes défavorisées égale classes dangereuses et violentes, mais est-on si éloigné de l’importance à donner à la précarisation et à l’instabilité professionnelle ? Ces facteurs d’instabilité sont-ils présents au même degré dans toutes les classes sociales ?

Ainsi les insultes, le chantage affectif ou les menaces se conjuguent différemment selon la position sociale : les femmes issues des catégories les plus défavorisées se déclarent plus souvent insultées, tandis que menaces et chantage s’observent dans tous les milieux (Jaspard, 2001).

L’instabilité professionnelle est un facteur favorisant les violences conjugales (Jaspard et al., 2003, p. 43).

Le professeur Henrion (2003) reprenant les données de l’enquête ENVEFF indique que les chômeuses et les étudiantes ont l’indicateur de violences le plus élevé. Ainsi l’absence d’autonomie financière des victimes serait un facteur induisant une situation de violence. Henrion note que « si la violence conjugale ne suit pas la hiérarchie sociale, une grande instabilité professionnelle et le retrait du monde du travail semblent favoriser l’émergence de situations de cumul de violences » (op. cit. p. 15 et 16). Et encore : « Pour l’un et l’autre des partenaires, avoir vécu une seule fois une période de chômage accroît relativement peu le développement de situations de violences conjugales, en revanche la multiplication des périodes de chômage double la proportion globale des situations de violences et triple celle des « violences gravissimes ». » (op. cit. p. 16).

Les chômeuses et les étudiantes semblent plus exposées que les femmes ayant un emploi. Les violences physiques sont perpétrées dans tous les milieux mais parmi les femmes de plus de 25 ans, les cadres rapportent nettement plus d’agressions physiques : 4 % en déclarent au moins une, contre 2 % des employées ou professions intermédiaires. Les femmes cadres réagissent-elles comme les ouvrières ou les employées devant une situation de violence conjugale ? Peut-être ont-elles davantage recours à une médiation de l’entourage, à l’espoir d’une possibilité de dialogue, à une capacité de compréhension, dans une vision égalitaire du couple ? Ayant une certaine sécurité tant personnelle qu’économique, par leur position sociale, il leur est plus facile de croire dans l’évolution positive de leur conjoint. En même temps, une certaine honte sociale maintient aussi le secret de l’intimité. Dès lors ce qui va leur apparaître insupportable, ce seront des situations « graves » ou « très graves » avouables lors d’une enquête anonyme et sans conséquences mais inavouables à leur entourage familial ou professionnel.

Les professions intermédiaires et les employées présentent les plus bas niveaux de violences conjugales : « Les couples modernes construits sur la réciprocité appartiennent principalement à ces groupes socioprofessionnels. Ces nouvelles classes moyennes au cœur des transformations sociales et des nouveaux rapports hommes/femmes, pour peu qu’elles connaissent une relative stabilité d’emploi, tricotent des histoires familiales en conformité avec les normes culturelles et les représentations sociales » (Jaspard et al., op. cit. p. 42). Cette réflexion des auteurs de l’enquête ENVEFF rejoint l’analyse de Mucchielli (2008) dont nous préciserons les éléments plus loin. En effet, ces « normes culturelles » et ces « représentations sociales » seraient-elles celles en référence à un couple pacifié, dialoguant ? La pacification des mœurs serait nécessaire à une bonne insertion économique.

L’accroissement des taux de situations « très graves » est particulièrement important dans les couples dont un membre est au chômage sans indemnités. Dans le même sens, les femmes inactives à la suite de périodes travaillées sont particulièrement exposées aux violences les plus graves.

Et encore : les femmes travaillant à temps partiel affrontent plus de situations violentes que celles qui travaillent à temps plein.

Il se trouve confirmé que, davantage que la catégorie socioprofessionnelle de chacun des conjoints, c’est leur situation par rapport à l’emploi qui est déterminante dans la variation des taux de violence conjugale. Cette détermination est encore plus marquée lorsque c’est l’homme qui est exclu du marché de l’emploi.

« Le manque d’argent, lié aux situations de précarité, la dépendance des femmes sans aucun revenu ou qui ne possèdent pas de compte bancaire sont autant de facteurs aggravants des situations de violence conjugale » (Jaspard et al. op. cit. p. 47).

Si l’on pouvait résumer sommairement les résultats de l’enquête ENVEFF quant au profil social des victimes, on obtiendrait le profil de femmes à instabilité et à précarité économiques déterminantes, indépendamment de leur position sociale et notamment leur appartenance à un groupe socioprofessionnel.

Cette indépendance vis-à-vis de la catégorie socioprofessionnelle est relative car l’on peut penser que la précarité économique touche davantage les couples où les deux partenaires occupent une position sociale modeste.

Afin de préciser ce point qui nous semble important, nous confronterons toutes ces données concernant les victimes avec celles concernant les auteurs.