2.3.2. Les femmes au travail.

La première tendance bien connue est l’augmentation du travail salarié féminin. Le tableau suivant représente cette évolution :

Tableau 4 – Taux d’activité des femmes.
Taux d’activité des femmes
(25 – 34 ans)
1970 1980 2002
  54,8 % 69,5 % 76,6 %

Source : L’état de la France – édition 2007/2008 – p. 28

En nombre, la population active féminine évolue de façon décisive de 1962 à 2000 :

Tableau 5 – Evolution de la population active féminine.
Date Population active (en milliers)
1962 6.664
1975 8.132
1982 9.618
1990 11.056
1999 12.057

Source : Ferrand, 2004

Pourquoi cet accès massif ? Dès 1965, la grande majorité des femmes salariées travaillent dans le secteur tertiaire qui s’est développé dans la seconde moitié du 20e siècle. En 2005, près de trois emplois sur quatre appartenaient au secteur des services, contre un emploi sur six dans l’industrie. - Le secteur industriel étant occupé par les hommes -. Il est intéressant de noter que les femmes sont doublement concernées par la tertiarisation de la société : en tant que travailleuse mais aussi en tant qu’utilisatrice des services produits (Barrère-Maurisson, op. cit.).

L’emploi des femmes reste concentré dans certains métiers.

Le tableau suivant représente les dix familles professionnelles comptant le plus de femmes (en 2002).

Tableau 6 – Familles professionnelles féminines.
Les familles professionnelles Effectifs féminins en 2002 Taux de féminisation en 2002
Agents d’entretien 798 74,2 %
Enseignants 716 63,9 %
Assistants maternels, aides à domicile 656 99 %
Secrétaires 651 97 %
Employés administratifs de Fonction publique (Cat. C) 650 72,2 %
Vendeurs 555 68,8 %
Employés administratifs d’entreprise 460 76,1 %
Infirmiers, sages-femmes 374 86,8 %
Aides-soignants 369 91,2 %
Professionnels de l’action sociale, culturelle et sportive. 341 65 %

Source: Bard, op. cit. p. 252

L’accès massif des femmes à l’emploi salarié, accompagné par la libéralisation de l’avortement et de la contraception, correspond à un besoin de l’économie capitaliste avec deux effets importants : le développement de couples ayant deux actifs et la création d’une main-d’œuvre féminine disponible sans grande qualification, donc aux salaires les plus bas. Les couples à deux actifs constituent des ménages à plus forte consommation. De même l’existence d’une main-d’œuvre féminine sans qualification vient remplir les besoins d’emplois correspondants.

En 2002, les femmes représentent encore les trois-quarts des effectifs d’employés-es non-qualifiés-es. Près d’un tiers des emplois occupés par les femmes sont à temps partiel (27,1 %) (Caire, 2004) alors que ce n’est le cas que pour 4,7 % des hommes. C’est chez les femmes de plus de cinquante ans que les pourcentages de travail à temps partiel sont les plus élevés. Les professions les plus représentées sont celles de personnel de vente et de services (28,5 %), les ouvrières et les employées non qualifiées (17,5 %).

Il s’agit donc pour l’essentiel d’emplois peu qualifiés, concentrés dans quelques activités et professions (Commerce, nettoyage) et d’emplois dont les horaires et conditions de travail sont particulièrement difficiles (Bard, op. cit., p. 234). On se rend compte que l’expression « Le travail féminin » est fallacieuse. Entre le travail des femmes ouvrières et le travail des femmes appartenant aux classes moyennes ou supérieures, il y a un fossé, le fossé des différences de classe dont il convient de ne pas oublier la réalité.

Il est aussi une autre tendance dans le travail des femmes que l’on constate, c’est la continuité persistante de leur trajectoire professionnelle sans interruption même à l’âge de la parentalité12 (Caire, op. cit.), tendance redonnant toute son importance à un climat familial adapté. Le taux d’activité des mères de famille ne commence à chuter fortement qu’à partir du troisième enfant.

Grâce aux mouvements féministes et à l’évolution des mentalités, et aussi grâce à une contrepartie politique, les femmes ont durant cette même période de 1967 à nos jours obtenu un ensemble de lois leur permettant une meilleure maîtrise de leur vie sentimentale et sexuelle, notamment les lois libéralisant la pratique de la contraception, dépénalisant l’avortement, condamnant le viol, les violences conjugales et le harcèlement sexuel. Il faut ajouter les lois concernant la parité homme/femme, ainsi que la loi de 1993 sur l’autorité parentale conjointe. Faut-il lire cette succession de textes comme l’accompagnement en fait de l’évolution économique ? Accompagnement ambigu car il ne vient pas contrecarrer cette évolution mais plutôt en atténuer les effets trop négatifs.

En effet, les inégalités sociales de genre se maintiennent, voire s’amplifient :

  • Les inégalités de salaire entre homme et femme : en 2000, la différence est de 17 % à durée de travail égal (temps plein) (Ferrand, 2004). Cette inégalité n’est pas propre à la France, puisque dans l’Union européenne, le salaire brut mensuel d’une femme équivalait à 72 % de celui d’un homme (Guionnet et Neveu, 2004, p. 128).
  • L’inégalité face à l’emploi : le taux de chômage est toujours plus élevé pour les femmes. En 1996, le taux de chômage est de 14,2 % pour les femmes et de 10,4 % pour les hommes. En 2003, il est de 11,2 % pour les femmes et de 8,9 % pour les hommes. Les femmes les plus jeunes sont les plus durement touchées. Le chômage des moins de 25 ans est en 1996 de 22 % pour les hommes et de 32 % pour les femmes (Bard, op. cit. p. 234). Ce sur-chômage féminin atteint les femmes de catégories socioprofessionnelles peu qualifiées : les employées, les ouvrières. Les plus vulnérables face à l’emploi sont les femmes peu qualifiées, jeunes et de nationalité étrangère. En 1998, 42 % des jeunes étrangères de moins de 25 ans étaient au chômage, soit deux fois plus que les jeunes hommes du même âge (Guionnet et Neveu, op. cit. p. 140 ).
  • La précarisation des parcours, les inégalités de déroulement des carrières : ainsi l’on a pu parler de la notion de plafond de verre. A titre d’exemple, en 1989, tout groupe socioprofessionnel confondu, une française sur cinq s’était élevée dans une catégorie supérieure au cours de sa vie professionnelle, contre un homme sur deux (Guionnet et Neveu, op. cit.). Les emplois dits atypiques – travail à temps partiel, précaire, temporaire, instable, les contrats aidés, les travaux d’intérim…- qui constituent le quart de l’emploi total en 2002 sont occupés pour les deux tiers par des femmes. En Europe, elles représentent plus de 80 % des travailleurs à temps partiel.
  • On trouve, à propos du temps partiel, deux groupes de femmes dans un fort mouvement de bipolarisation : le premier est constitué de femmes ayant choisi de travailler à temps partiel soit pour un projet familial soit pour avoir davantage de loisirs. Il s’agit de femmes qualifiées, occupant un bon emploi, sans difficulté financière particulière. Mais ce groupe n’est pas majoritaire.
  • L’autre groupe est constitué de femmes subissant le temps partiel avec des conditions de travail difficiles et des possibilités d’évolution réduites. En France, en 1999, 46,1 % des femmes immigrées de nationalité étrangère travaillaient à temps partiel, contre 31,7% des femmes actives (Guionnet et Neveu, 2004, p. 139).
  • La fragilisation des modes de vie : Le maintien de la double journée (Etat de la France, op. cit., Barrère-Maurisson, op. cit., Bard, op. cit., Guionnet et Neveu, op. cit.) et la persistance de la hiérarchie des sexes notamment dans la sphère familiale illustrent ce mode de vie fragilisé. Rappelons que la valeur accordée au travail domestique, invisible et gratuit (C. Delphy, 1977), celui qui permet à l’homme de reconstituer et d’entretenir sa force de travail, a toujours été moindre que celle attribuée au travail professionnel. Ainsi que le souligne Ferrand, « la double journée n’est pas seulement l’addition de deux types d’activité dans deux lieux différents, c’est l’intrication de deux charges de travail simultanées » (op. cit., p. 17). Laurent Lesnard constate au terme d’un travail sociologique (2008) combien le lien social s’amenuise dans la famille désarticulée. La temporalité est dominée par le court terme. Même si le temps familial tend à augmenter, il ne concorde plus. Au tournant des années quatre-vingt-dix, la journée de travail normal a volé en éclats. La journée de travail s’est désynchronisée : la moitié du temps travaillé par les conjoints n’est plus « concomitante ». Vie conjugale et vie parentale sont désaccordées. Cette désynchronisation relève de la contrainte. Elle touche d’ailleurs plus fortement les salariés les moins protégés.

Lorsque l’on additionne leurs temps de travail professionnel et domestique, les femmes travaillent quotidiennement une demi-heure de plus que les hommes. En 1999 comme en 1986, les deux-tiers du travail domestique sont effectués par les femmes (Ferrand, op. cit.). En treize ans, la participation des hommes au travail domestique n’a augmenté que d’une dizaine de minutes par jour (Bard, op. cit. p. 178 et 180).

En conclusion de l’ensemble de ces données, comment s’étonner de trouver de tels facteurs aggravant la survenue de violences conjugales ?

Le mode de production capitaliste a évolué depuis les années soixante en développant un secteur tertiaire dont la main-d’œuvre requise est largement féminine, main-d’œuvre qui dans le même temps et pour un certain nombre de femmes seulement, accédait à une certaine autonomie financière. Pour une autre part que l’on retrouve dans la description de la population victime des violences conjugales, elle est fragilisée par des conditions de travail et de vie précaires, instables.

L’emploi féminin contemporain montre l’existence de deux groupes de femmes « aux deux extrêmes de l’échelle des rémunérations et des qualifications, avec une proportion croissante des bas et très bas salaires féminins (moins de 838 euros – soit moins que le SMIC – ou moins de 629 euros par mois) en Europe comme aux Etats-Unis » (Guionnet et Neveu, 2004, p. 130).

L’économie capitaliste a besoin de ces deux catégories de travailleuses :

  • Une travailleuse moyennement qualifiée accédant à des emplois de service,
  • Et une travailleuse peu qualifiée, si ce n’est pas du tout, constituant un vivier de recrutement pour des emplois à temps partiel, à durée déterminée, ou d’intérim, traversant des périodes d’instabilité, d’absence puis de reprise ponctuelle d’emplois.

Faut-il en complément de cette conclusion insister sur une lecture de la société actuelle comme post-disciplinaire dont la judiciarisation n’est qu’un aspect (Bonny, 2004). Cette citation de Bauman (1991), fortement influencé par Michel Foucault, évoque que « la logique profonde de la modernité consiste à établir dans tous les domaines un ordre nouveau, à partir d’une raison législatrice portée par un sujet « civilisé », autocontrôlé, discipliné, capable de maîtriser ses impulsions et ses passions. » (in Bonny, op. cit. p. 118).

Figure nouvelle de la modernité, le sujet pacifié résume et à la fois contredit l’aspiration à un individualisme collectif (Laurent, 1985, Castel, 1995, Foucauld et Piveteau, 1995).

L’évolution n’est pas terminée. De lourdes tendances vont peser sur le couple et la famille, en forte mutation.

Notes
12.

Selon la définition de Godelier (2004, p. 239), la parentalité « désigne l’ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites,, des attitudes, des sentiments et des émotions, des actes de solidarité et des actes d’hostilité qui sont attendus ou exclus d’individus qui – au sein d’une société caractérisée par un système de parenté particulier et se reproduisant dans un contexte historique donné – se trouvent, vis-à-vis d’autres individus, dans des rapports de parents à enfants.