Le débat à l’intérieur de l’association Solidarité Femmes Loire au début du dispositif nous amena à poser la question de la dénomination des participants : « Hommes violents », « Conjoints violents », « Auteurs de violences », « Mis en cause» » ?… D’emblée, la formule « groupe de mis en cause » fut rejetée car les termes semblaient trop juridiques. De plus, les participants des groupes étaient aussi juridiquement des prévenus et des condamnés selon leur positionnement dans la procédure. Il convenait donc de trouver une dénomination plus générale. Par ailleurs, la dénomination de « conjoints violents » paraissait trop restreinte à l’espace conjugal. Nous avons préféré la dénomination « d’auteurs de violences conjugales » plutôt que celle d’hommes violents rencontrée le plus souvent.
En effet, utiliser la catégorisation « hommes violents », c’est rester dans la binarité : hommes violents, femmes victimes. C’est aussi accepter des présupposés importants : l’expression « hommes violents » signifie implicitement que cette catégorie appartient à celle générale des hommes en mettant l’accent sur un trait qui serait d’origine psychophysiologique – une sorte de nature masculine.
C’est parallèlement attacher à la femme cet adjectif de victime, ce que dénoncent C. Eliacheff et D. Soulez Larivière (2007) en écho à E. Badinter (2003). Paradoxalement, les campagnes de prévention n’amènent-elles pas à inscrire les femmes dans une position de pauvres victimes, éternellement dominées. Dans quel message de prévention les voit-on résister, affronter victorieusement leur agresseur, se comporter avec une attitude de refus ? Non, elles sont représentées marquées, frappées, blessées, soumises. Bien sûr, il est donné un numéro de téléphone, une adresse, mais ces ressources sont toujours extérieures à elles-mêmes.
Joindre l’adjectif « violents » à « hommes » banalise ou minimalise l’expression comme le ferait un simple qualificatif du langage courant : par exemple, il y aurait des hommes violents comme des hommes bricoleurs. Ce serait un sorte de trait de caractère ou une tendance naturelle. Après la biologie faisant appel à la testostérone, la psychologie à l’aide de principes caractérologiques sommaires viendrait naturaliser la violence masculine. Nous sommes d’accord avec les remarques de M. Cornaton (2001, p. 286) critiquant les termes de « violence fondamentale » de J. Bergeret. L’association de ces deux termes laisse croire à une sorte d’invariant anhistorique et quasi-biologique. Cette question rejoint le débat entre essentialistes et anti-essentialistes (Guionnet et Neveu, 2004, p. 25). Ce débat est en fait majeur pour notre sujet : une vision essentialiste postule une « essence masculine » reposant sur l’apport neurobiologique (Karli, 1982), sur les arguments d’une psychologie évolutionniste, et enfin sur une interprétation sociologiquement datée de la psychanalyse forcément androcentrique (Guionnet et Neveu, op. cit., p. 73). M. Foucault (1966) montrait déjà que tout savoir accumulé et non problématisé finissait par constituer l’objet de ce savoir et renvoyer dans l’obscurité ce qui lui était étranger : n’est-ce pas ce qui arrive tant aux notions d’homme violent qu’à celle de femme victime ?
Pour notre part, nous soutenons qu’il s’agit là d’un trait social construit et non d’un trait naturel car ces comportements – tant celui de domination que celui de soumission - sont liés à une histoire, à un contexte socio-économique. Son degré variable d’acceptation sera lié aux représentations et aux références sociales.
Suivant la nature du regard, l’on pourra considérer l’auteur des violences comme un homme malade - avec trop d’hormones dans le sang, avec une pathologie somatique ou une psychopathologie etc… - et ce regard déterminera le type de prise en charge médicale ou psychologique ou encore médico-psychologique : médicaments et psychothérapie. Cette catégorisation fera appel à une approche individuelle. Une telle vision ne manquerait pas de déculpabiliser le responsable en lui offrant un objet de projection de sa propre culpabilité. Nous pensons que cette approche subsiste dans l’approche psychothérapeutique pour laquelle les violences ne sont qu’un symptôme. L’expérience québécoise que nous examinerons plus loin montre que l’approche psychologisante est très souvent concomitante d’une déjudiciarisation. Soigner peut devenir exclusif du punir. Car l’explication clinique peut conduire à reconnaître implicitement une certaine irresponsabilité ou une responsabilité fortement atténuée à l’agresseur, dès lors tout est en place pour faire de l’agresseur une victime, victime de son passé, de sa famille.
L’on pourrait aussi considérer l’auteur de violences comme la victime d’un système social sans âme (chômage, santé précaire, maltraitance et traumatismes infantiles, précarité ou exclusion économique et sociale). Cette trajectoire sociale viendrait-elle se traduire dans un sursaut de révolte exprimé par une violence exacerbée. Selon cette représentation, seuls les politiques auraient la solution : hors d’un changement de société point de salut ! L’éloignement et la complexité de cette solution radicale résignerait nombre de victimes.
Catégoriser ces auteurs de violences sous le terme « d’hommes violents », c’est sexualiser l’auteur, c’est naturaliser l’auteur, c’est enfin banaliser la violence. Parler d’hommes violents c’est distinguer l’homme par un trait de violence, trait évidemment qui n’appartiendrait pas à la femme. Catégoriser ces auteurs de violences sous le terme « d’hommes violents », c’est à l’inverse favoriser une comparaison avec les femmes qui ne seraient pas violentes.
Ce qui les différencie, c’est leur place dans les processus de socialisation.
Or hommes ou femmes, n’avons-nous pas en nous cette potentialité de violence (qui n’a rien de fondamentale à la différence de l’agressivité) que certains hommes expriment car le système de domination sociale masculine favorise, en le banalisant, ce comportement ?
Pour toutes ces raisons nous avons opté pour la dénomination « Auteurs de violences conjugales ». Cette dénomination n’est pas sans poser des interrogations. Le terme d’auteur laisse à penser que ce dernier est complètement responsable de ses gestes, que ces gestes sont pleinement conscients et réfléchis. La responsabilité de l’auteur est tout à fait compatible avec des motifs inconscients. Nous reprendrons plus loin autour du thème de la responsabilisation la question de cette dénomination.
Notre conviction, en effet, est la suivante : toute explication, quelle qu’elle soit, ne peut ni atténuer, ni a fortiori excuser des actes de violences comme ceux que nous entendons chaque jour dans notre pratique de psychologue en Service de Médecine Légale au CHU de Saint-Etienne. Même dans le cas d’une dispute aux causes multiples, la responsabilité des violences, notamment des violences physiques, ne peut être partagée dans la plupart des cas. Nous retrouvons ce même positionnement chez d’autres praticiens, notamment les structures participant à la FNACAV (Fédération nationale des associations et structures prenant en charge les auteurs de violences conjugales) dont nous citons un extrait de la charte :
« Le refus de la violence sous toutes ses formes. L’intervention auprès des auteurs de violences est complémentaire des actions de la Justice, elle n’est en aucun cas une alternative à l’application de la loi. L’auteur est responsable de ses actes aux termes de la loi. Bien que la responsabilité de la violence appartienne toujours à son auteur, ce dernier ne peut se réduire à ses actes. Il a droit à l’écoute, au respect, à la confiance dans ses propres capacités de compréhension et de changement et à un accompagnement psychosocial pour prévenir la récidive. ».20
La dénomination « Auteurs de violences » met en évidence que l’acte de violences, même s’il résulte d’un acte aux origines inconscientes, engage la responsabilité de son auteur. Ce travail de responsabilisation que nous poursuivons dans les groupes de prévention est commun à l’action juridique et à l’intervention psychologique. Cette dénomination ne naturalise pas la violence et ne stigmatise pas les hommes. La dénomination « Auteurs de violences » laisse ouverte la question de la violence chez les hommes et chez les femmes. Elle restitue la responsabilité de ses actes à celui ou celle qui les a commis. Elle permet à l’auteur de dire Je. L’auteur des violences devient un « interlocuteur possible ». (I. Théry, 2007). Nous pourrions même affirmer que l’acte de violence lui restitue la possibilité de répondre de lui-même devant la Police, devant le Tribunal. Devant tous, il peut, il doit conduire un récit des violences dont nous verrons plus loin l’importance, d’exprimer des sentiments (colère, tristesse…), d’engager une procédure, de prendre des décisions sur l’avenir. La reconnaissance de l’acte de violence peut être le début de nouveaux choix tant affectifs que professionnels.
Malade ou délinquant, l’auteur est parfois les deux, le plus souvent il est délinquant et responsable de ses actes. Peut-on cependant distinguer plusieurs profils d’auteurs de violences conjugales ?
Cet extrait figure sur le site internet de la FNACAV.