3.4. Les différents profils d’auteurs de violences conjugales :

Reprenant les auteurs québécois et américains, Begin (1995) valide la typologie des hommes violents de Holtzworth-Munroe & Stuart comprenant trois catégories d’hommes dont la plus nombreuse est définie ainsi : « La première identifie des hommes violents seulement dans leur famille, soit envers la conjointe ou les enfants. On y observe une variation de la fréquence et de la sévérité et l’abus psychologique est le plus souvent rencontré. Ces hommes ont très rarement des antécédents judiciaires, ils peuvent éprouver des problèmes d’adaptation se manifestant par des difficultés à gérer leur colère, des symptômes dépressifs, des problèmes de consommation d’alcool ou de drogue et ils peuvent avoir une personnalité passive ou dépendante. » (P. 15).

Dans cette typologie, 50 % des hommes étudiés par Begin correspondent à cette description. Ces trois catégories d’hommes se profilent selon un continuum de gravité des faits. Dans les deux autres catégories moins nombreuses, la violence s’est étendue à l’entourage avec des délits plus importants et plus nombreux. Les actes de violence sont d’une gravité plus prononcée et atteignent notamment les enfants ou la famille proche.

Pour Begin, la dépression majeure, l’ajustement dyadique, l’alcool et les psychopathologies sont de bons prédicteurs de violence. Il considère in fine deux types de facteurs :

Pour Broué et Guèvremont, praticiens québécois, les auteurs de violence sont des hommes normaux, notamment la première catégorie définie plus haut. Ils constatent que les quatre niveaux de déterminants de la violence conjugale sont : les habitudes de vie, les ressources psychologiques personnelles, les facteurs biogénétiques et enfin l’environnement politique : « La violence ne résulte pas d’un seul facteur, mais plutôt de l’adéquation entre divers facteurs de risque accentuée par des déclencheurs qui en attisent l’acuité » (Broué et Guèvremont, 1999, p. 24). Parmi tous les facteurs de risque, avoir été victime ou témoin de violence paternelle-maternelle est soulignée par au moins quatorze études citées par Broué et Guèvremont. «  Cette surexposition à diverses formes de violence a pour effet de stimuler le développement de relations amoureuses marquées par un attachement anxieux et des stratégies de contrôle.» (op. cit., p. 26) et encore : « Ces individus sont ainsi très vulnérables au rejet, à l’abandon et à l’humiliation. Plusieurs adhèrent à une conception rigide des rôles et des rapports hommes-femmes, comme rempart à cette dépendance excessive. Ils se sentent justifiés de recourir à la violence pour assurer et maintenir leur pouvoir. » (Demers, 1987). Les conjoints violents érigent ainsi, au fil des années, un système de contrôle et de domination intégrant différentes formes de conduites d’agression afin de se protéger des besoins de dépendance infantile et de la rage qui s’accroît lorsque leurs besoins ne sont pas comblés.

Mercader en vient à la même analyse dans l’étude sur les crimes dits passionnels conduite avec Houel et Sobota : « C’est comme mère que la femme fait défaut à l’homme criminel : elle s’absente, et par là réactive sans doute des expériences de catastrophe psychique très archaïques… » (2007, p. 49). Nous avons rencontré déjà la notion de maternalisme dans l’approche de Neyrand sur le pouvoir maternel.

D. Dutton (1996) pose la question : « Tous les cogneurs se ressemblent-ils ? ». Dans sa réponse, il établit une première différence entre cogneur exceptionnel et cogneur régulier puis il arrive à la classification suivante :

En France, le rapport Coutanceau (2006), rapport demandé par le Ministère de la Justice et intitulé « Auteurs de violences au sein du couple » expose les profils suivants :

‘« Sur le plan clinique, on peut distinguer schématiquement trois profils :’

Le premier profil, selon R. Coutanceau, représente 20 % du total.

Le deuxième profil fortement teinté d’immaturité et d’égocentrisme constitue le bataillon majoritaire des auteurs de violences et doit être orienté vers le travail en séances de groupe.

R. Coutanceau argumente ainsi : « Les techniques de groupe sont à privilégier, car elles permettent tout simplement à ceux qui sont le moins autocritiques d’écouter ceux qui sont le plus engagés dans une réflexion authentique émotionnelle les concernant. » (2006, p. 8)

Le travail en groupe selon les praticiens faciliterait une diminution des défenses et une meilleure prise de conscience.

Le troisième profil est celui de « personnalités fortement problématiques  ». La violence apparaît au quotidien souvent sous la forme de l’emprise et des manifestations tant paranoïaques que mégalomaniaques. J.P. Vouche (2009) fait de l’emprise la caractéristique essentielle du comportement des auteurs de violences conjugales : sa victime « qui subit, sans pouvoir se défendre, est concomitamment cible…, coupable sans faute, martyr et supplicié, tourmenté, opprimé et assujetti, et enfin sidéré ; … est brisé, anéanti, annihilé… Il devient « proie » ». (p. 28). Nos propres observations confirment l’importance de l’emprise21 mais pour un petit nombre d’auteurs que nous avons rencontrés dans les groupes.

Vouche (op. cit. p. 156) propose une classification intéressante en cohérence avec le modèle transthéorique22, qui distingue les résistants, les immobiles, les hommes qui agissent de façon contradictoire, les pré-participants, les hommes en prise de décision et les participants. Cette classification peut servir pour nommer les différentes d’évolution selon leur adhésion au travail groupal.

En résumé, dans l’ensemble de la littérature sur les violences conjugales, on note une certaine convergence quant au profil des auteurs de violences conjugales. Il semble que l’on puisse répartir la population d’auteurs de violences conjugales en deux catégories :

Si nous avions à reprendre les facteurs principaux favorisant ou entraînant les violences conjugales, nous pourrions énumérer les éléments suivants :

La première population regrouperait la grande majorité des auteurs de violences conjugales, cette population est majoritairement accessible à une prise en compte de leur problématique. La seconde population minoritaire présente des symptômes psychopathologiques plus graves et parfois de nature psychotiques et nécessite une autre approche.

Notes
21.

Roger Dorey, psychanalyste, distingue trois dimensions de l’emprise : « une action d’appropriation par dépossession de l’autre, une action de domination où l’autre est maintenu dans un état de soumission et de dépendance, une empreinte sur l’autre, qui se trouve marqué physiquement et psychiquement » (in Vouche, 2009, p. 33)

22.

Nous développerons le modèle transthéorique dans les étapes du changement.

23.

Le concept d’état limite apporté par Dutton est très sensiblement différent de celui accepté par la psychologie française.