3.4.2. Le sens de l’acte.

‘« Je n’est jamais autant je que lorsqu’il devient un autre »
J-C. Kaufmann, 2008, p. 150’

L’acte violent a plusieurs sens, une sorte de langage, un ensemble de significations méconnues de lui. L’acte « montre, il ne dit pas, il raconte, mais avance masqué ». (Chouvier & Roussillon, 2008, p. 25). L’acte est une liaison entre ce qui précède et ce qui peut s’en suivre. Non seulement l’acte est décharge mais aussi l’acte est rupture. L’acte est profondément ambigu : il produit de la rupture alors que le sujet voudrait qu’il prolonge le lien. La cécité du sujet devant des pans entiers de sa vie psychique appartient soit au refoulement névrotique soit à un mécanisme de clivage archaïque, une sorte de folie en privé. Nous avons constaté dans notre pratique de psychologue les mêmes caractéristiques dans le domaine du passage à l’acte dans les conduites suicidaires.

Ainsi selon ces différents sens, et en concordance avec les deux populations d’auteurs violents distingués plus haut, nous pourrions repérer trois registres d’actes violents :

Ces expériences éprouvantes, présentes sous la forme de traces à l’état brut tendent à traverser le temps, – P.C. Racamier (1992) les dénommerait objets-non objets – comme des traces non-subjectivées. C’est comme si ces traces, pour lesquelles le sociologue Martuccelli évoque les textures, ressemblaient à d’infimes cicatrices parfois ouvertes, parfois masquées, qui viennent s’enflammer au contact d’évènements douloureux. « Le moi est globalement fragilisé par les atteintes narcissiques qu’impliquent la disqualification ou la non-qualification des communications corporelles et affectives, d’autre part les formes désignifiées de celles-ci représentent autant de points énigmatiques pour le Moi qui se vit comme habité par des mouvements insensés. ». (Idem, p. 29). Le sujet a une grande méconnaissance de l’existence active de ces traces qui sont à la fois mnésiques et porteuses d’émotionnel. C’est l’entourage qui va donner forme et sens complet à ces noyaux non-élaborés.

Ces noyaux non-élaborés sont présents sous forme de peurs. Pour J. Cournut (2001), la peur foncière des hommes est la peur de la castration. Toute peur renvoie à la peur de la perte (Bowlby, 1984). Est-ce cette perte que les auteurs de violences conjugales refuseraient de voir en se mettant en position de victime : « On me l’a enlevé - la Justice, la Police…- donc ce n’est pas de ma faute si je l’ai perdu ! ». Est-ce cette perte que les représentations sociales projettent sur la femme victime ? Lorsque l’on considère sa place sociale, la femme n’est pas du châtré mais un être entier ! Ni passive, ni masochiste !

Est-ce l’objectif essentiel de nos groupes : faire du représentable là où il est un magma même éruptif sans mot dans un va-et-vient de réflexivité ?

Les hommes savent que les femmes ne sont pas simplement du châtré. Cette découverte les renvoie à eux-mêmes. Lacan dit qu’elles n’ont pas mais qu’elles sont le phallus en tant que sens symbolique. Ce sont les femmes qui dès leur apprentissage social, surinvestissent le langage. Ce sont les femmes qui dès leur apprentissage social et familial surinvestissent l’émotionnel, la subjectivité, les sensations. Molinier (op. cit.) le soulignait dans son article sur la déconstruction de la crise de la masculinité, les représentations sociales mettent en avant les qualités relationnelles des femmes, même lorsqu’elles exercent des métiers dits masculins.

Le refus du féminin, différencier ce qui est féminin de ce qui est masculin, est sans doute l’un des sens de l’acte de violence pour l’homme. S’il est conduit à ne plus refuser ce féminin, à vivre ce que la passivité lui permet de ressentir avec plaisir, mais ce que l’activité, la suractivité étouffe, alors l’homme découvre un continent qui était en sommeil.

Ce qui est en jeu dans la reconnaissance de la responsabilité de l’acte violent, c’est la reconnaissance de sa propre violence, de l’intégration de celle-ci en tant que sens pour soi, de l’intégration de celle-ci dans « un groupe composite d’éléments » (Kaufmann, 2008) à la recherche de son unité cohérente.

Les séances de groupe permettent par le lien mental qu’elles élaborent le nouage de cette cohésion. Ne sont-elles pas thérapie, c’est-à-dire processus élaboratif ? Nous reviendrons sur cette question dans notre troisième partie.

Dans notre pratique de psychologue hospitalier, nous avons rencontré d’autres situations où la question du recours à l’acte s’est posée. Analysant ces situations, il nous a semblé que l’appellation la plus adaptée était celle d’évènement-carrefour. E. Hughes (cité par J-C. Kaufmann, 2008) parle de tournants biographiques. Intervenant en service de traumatologie – service de soins somatiques, notamment chirurgicaux, - auprès de patients hospitalisés à la suite d’accident de la route ou du travail, nous avons en effet remarqué que souvent cet évènement s’était produit dans un contexte d’impasse sociale et psychologique due à des soucis familiaux, professionnels, rupture sentimentale, maladie, décès etc… Le moment d’hospitalisation était alors comme un moment d’arrêt contraint, d’immobilisation forcée, propice à la réflexion et au choix d’une nouvelle route, d’une nouvelle orientation, d’un nouvel engagement sentimental. L’intervention psychologique proposée par le service d’hospitalisation était l’occasion de cette réflexion. Il n’était pas question de l’accident ou du traumatisme mais d’aider à une réflexion sur le futur immédiat, la sortie de l’Hôpital…

L’évènement remet en cause l’univers de référence qui est comme vidé de l’intérieur. J-C. Kaufmann évoque aussi ces moments comme des ruptures biographiques (2008, p. 98) dans un processus de choix de soi possibles. Le moment des violences conjugales est un moment de rupture biographique. Il fait date. Ce processus est sans nul doute la plus grande expression de soi car il transgresse, par une sorte de décalage, sans s’en affranchir vraiment, les cadres de la détermination socialisante. Ces évènements-carrefour appartiennent à la fois à une certaine brutalité et sont des actes signifiants ou du moins des « tentatives de liaisons signifiantes ». (op. cit., p. 36). Evidemment, l’intervention du tiers – au sein du service d’hospitalisation, comme à l’intérieur des groupes d’auteurs de violences conjugales - permettent le reflet et l’élaboration de cette position et liaison signifiantes.

Afin de compléter les données théoriques présentes dans la littérature sur les auteurs de violences conjugales dont nous avons fait la recension, nous avons rencontré sept auteurs de violences conjugales et enregistré leurs entretiens. Les données théoriques recueillies et ces entretiens nous permettront de formuler nos hypothèses de recherche dans cette deuxième partie dans laquelle nous allons abordé après la partie théorique, le déroulement du dispositif et des groupes d’auteurs de violences conjugales.