1.2.3. Serge.

Serge est âgé de quarante ans. Français, il exerce la profession de chauffeur routier international. Marié depuis quatre ans, il est en cours de séparation. Il a trois enfants. Serge exerce un métier particulier : il « fait de l’international ». Il part régulièrement pour de longues périodes (six mois) afin d’assurer l’organisation matérielle d’évènements, concerts ou spectacles, nécessitant l’installation de scènes et de chapiteaux. C’est un métier à risque car la moindre erreur peut lui entraîner un accident ou créer de graves incidents pour le public accueilli.

Serge commence son récit par l’histoire d’une agression qu’il a subie et dont il attribue rapidement la responsabilité à sa femme : « Ce qui s’est passé, c’est que je suis tombé en panne de voiture. J’ai demandé à ma femme de me dépanner de dix euros, en plus j’avais le gamin de quatre ans avec moi. Elle n’a pas voulu me dépanner. Je lui ai dit « Attends, je suis avec un gamin et il était tard dans la nuit ! ». On n’était pas encore en séparation. Je me suis énervé. Je lui ai mis une claque. Après, je suis parti. J’ai été agressé : pistolet au tympan, la totale ! ».

Répondant à nos questions sur cette dernière agression au pistolet dont il a été victime, Serge explique qu’il était avec son fils et une amie en panne d’essence à la ville de F. Il fait de l’auto-stop. Deux individus s’arrêtent et les emmènent à la ville de St P. « Sous la menace d’un pistolet, poursuit Serge, l’un des deux violait ma copine et l’autre me mettait à genoux, me tapait à coups de crosse. Deux balles en l’air, il m’a dit que la troisième c’était pour moi. Celui qui la violait est venu vers moi et l’autre a pris la relève. Au moment où il a mis son pantalon, je lui ai fait une balayette et je suis parti appeler les secours. »

Pour Serge, le refus des dix euros est à l’origine de cette agression. Il reconnaît avoir seulement giflé sa femme qui cherche, dit-il, à retirer sa plainte.

Revenant sur la relation avec son épouse, Serge indique que l’idée de la séparation était en discussion depuis quatre mois car elle n’acceptait pas ces grandes périodes d’absence pour déplacements et il était question pour Serge d’un déplacement au Nigeria pendant deux ans. Ce dernier justifie l’intérêt de ce mode de travail par une rémunération intéressante, rémunération d’autant plus indispensable qu’il est en situation de surendettement. Serge est intarissable quand il parle de son métier : « On rencontre beaucoup de gens … Je redescends au Festival de Cannes cette année. Dans ce boulot, je connais beaucoup de monde, beaucoup de rencontres, de choses … J’ai vu des grosses têtes. Personne ne peut dire ce que moi j’ai vu … Ca a été toujours un rêve … C’est un boulot que j’aime. Beaucoup d’artistes et tout … ».

Nous posons la question à Serge des raisons de son mariage puisque depuis dix ans il fait ce métier qui l’éloigne fortement de sa famille : en fait il s’est marié il y a quatre ans. Peut-être son épouse a-t-elle pensé que le mariage allait le rapprocher ?

Serge, à notre question de connaître les motifs de dégradation de la vie de couple, nous dit : « J’ai une copine. Elle a vingt ans. Ca pourrait être ma fille. Ma femme croit que je suis avec elle. Je ne suis pas du tout avec elle. Ses parents l’ont toujours délaissée. Moi, elle m’appelle Papa, je suis comme son deuxième père. Je l’aide dans ses papiers. On est toujours ensemble. Ma femme croit que j’ai une aventure avec elle. Ca fait quatre ans qu’elle est avec moi. ».

On ne peut que constater la concordance des dates : présence de cette copine depuis quatre ans et mariage depuis quatre ans ; et la concordance des faits : éloignement vis-à-vis de sa femme et rapprochement de cette copine.

Serge est surpris, étonné de la jalousie de sa femme. Serge aime le risque, d’abord dans son métier, puis dans l’histoire de l’agression. Il prendra la voiture jusqu’à la panne d’essence, fera du stop avec une jeune fille de vingt ans et un gamin de quatre ans. Il niera, surpris et étonné, l’ambiguïté d’une situation de coexistence avec une jeune fille de vingt ans.

Il y a, dans cette addiction au risque, un besoin narcissique, et aussi un rappel du passé. Il pense à ces temps heureux où il partait « dans un camion de 55 tonnes, avec son père, pour plusieurs semaines ». Serge a inversé l’ordre des choses : le boulot en permanence et la famille par intermittence. Cette formule sans doute héritée pour partie de son enfance avec son père, lui convient parfaitement. A la question sur sa vie de couple actuelle, il répond : « Ca va bien ; elle vient chez moi, des fois je vais chez elle. Parfois nous nous retrouvons ailleurs. ». Serge aime le changement. Il échappe sans arrêt de là où on l’attend.

Serge ne cache pas son besoin d’être reconnu au nom du risque qu’il prend. Il a été laveur de vitres. Ces laveurs de vitres qui sont suspendus sur de frêles balancelles. En 1994, il a même concouru et s’est classé quinzième sur deux mille concurrents. Reconnu et aimé, il nous avoue à mots couverts ses multiples aventures féminines. Serge passe du métier de laveur de vitres-alpiniste à celui de technicien de chapiteaux.

Pour Serge, partir c’est exister. Exister dans l’intime d’un camion qu’il soit paternel ou professionnel, dans l’imprévu des rencontres, dans ces situations à haut risque où il vérifie dix fois la sécurité des chapiteaux, mais aussi dans le luxe des Hôtels réservés par sa société. Quand il est en déplacement, il peut être appelé en urgence vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour se garantir du risque qu’il va inlassablement braver, il a toujours un chapelet dans les mains.

Nous ne connaissons pas la décision du Tribunal pour Serge.