1.2.4. Léon.

Léon est un homme de 41 ans. Français, il est marié et a quatre enfants. Il vit toujours avec sa femme. Il est chef de chantier dans la maçonnerie. Il est au chômage depuis un an à la suite d’un licenciement.

D’emblée, Léon expose ce qui s’est passé entre lui et son épouse : « Je n’ai pas l’impression d’être concerné par tout cela. J’ai donné une claque parce que j’en avais reçu une. Elle m’a donné une claque et je l’ai rendue. Ca a été au Commissariat. Ma femme a voulu porter plainte. Elle l’a retirée ensuite, mais ça a été jugé. ». Ni l’un ni l’autre ne se sont présentés au Tribunal lors du jugement. Le Tribunal a condamné Léon à six mois de prison avec sursis et trois ans de mise à l’épreuve – ce qui est une peine importante comparée aux sanctions habituelles.

Léon reconnaît trois claques en vingt-deux ans de vie commune tout en banalisant les disputes conjugales. Léon attribue à sa fille aînée la responsabilité de ce qui s’est passé, fille aînée qui prend souvent le parti de sa mère et qui elle-même semble être victime actuellement de violences de la part de son mari.

Puis, Léon nous expose un autre épisode, plus ancien, de violence : « C’était en 1997 … On s’était engueulé une fois de plus. Je lui ai mis le flingue dans les mains et je lui ai dit : « S’il y a quelque chose qui ne va pas, vas-y tire ! … Et le coup est parti. … J’ai toujours la balle. Elle a pris deux ans de prison avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve ».

Le couple, malgré l’envie de séparation, reste ensemble. Trois claques et un coup de feu.

Léon revient sur le déroulement de la scène où sa femme a tiré sur lui : « Moi, j’étais parti avec ma fille qui avait un gala de danse. J’ai demandé à ma femme de venir avec nous. Refus. Elle m’a dit : non, je reste à la maison, je ne bouge pas …Nous partons donc au Gala tous les deux avec ma fille. Quand je rentre à la maison, après le Gala, vers les vingt heures, personne. Les gamins étaient tous seuls à la maison. Je la cherche. Elle était chez un copain, avec sa copine aussi. Ils avaient bu des canons, malheureusement. Je l’ai appelée, je lui ai dit de rentrer. C’est parti en live. On s’est engueulé. J’ai été cherché le flingue là où il était, dans l’armoire. Je le lui ai mis dans les mains et je lui ai dit : « Si ça ne va pas, maintenant tu tires ! ».

Cette scène où Léon demande à sa femme de tirer sur lui nous interroge beaucoup. Nous l’interprétons comme une forme de suicide dont il n’aurait pas la responsabilité. Un suicide pour que tout s’arrête, les cris, les coups, les disputes et les ruptures. Léon avoue ne pas aimer la vie et sans aucun doute ne s’aime-t-il pas lui-même, et depuis longtemps…

Le passé revient : un père mort alors que Léon avait onze ans. Mort par suicide (par égorgement) après une engueulade avec la mère de Léon. On peut remarquer le parallélisme des situations.

Léon se souvient de l’ambiance familiale : « Ca criait, ça tapait ». Sa mère se met à boire et son beau-père le frappe. A dix-neuf ans, il rencontre son épouse actuelle dont les parents sont séparés et dont le père meurt jeune. Comme elle, il boit. Autour de Léon il y a, même à l’école, beaucoup de cris, sans doute est-il rebelle et peu motivé !

Les relations de Léon avec ses frères et sœurs sont actuellement inexistantes. Elles sont faites de ruptures, de disputes et de rancœurs. Les relations de Léon avec ses enfants sont tout aussi difficiles. Les relations sont tendues avec sa fille aînée - « Les ponts sont coupés » - et sa seconde fille de seize ans vient d’accoucher et de se séparer de son compagnon, son fils a quitté le domicile familial pour aller en Foyer : « Parce qu’une fois on s’est pris le bec tous les deux ! ». Et le petit dernier connaît des problèmes psychologiques importants de troubles du langage. Tous les quatre ont été placés pendant un an et demi dans une famille d’accueil. Et puis, il y a trois mois, la famille a été expulsée faute de paiement du loyer. Une procédure de surendettement est en cours. Léon est ballotté au milieu de ces évènements et l’on a l’impression que rien ne va. Léon se protège par des ruptures successives. Seule et de façon apparemment paradoxale, la relation conjugale semble résister à ces vagues incessantes. La colère est à fleur de peau chez Léon, une colère rentrée qui le ronge et qui s’exprime dans des jugements à l’emporte-pièce. Une colère contre lui-même et contre les évènements qui ne cessent d’affluer. Les modes de défense de Léon sont la banalisation, le relativisme des choses, l’intériorisation des évènements et leur désaffectivation. Il boit quand tout cela déborde.

Toujours des cris mais pas de paroles. Et puis ce profond pessimisme sur lui-même : « Une carne reste une carne, dit-il en parlant de lui. On a beau la redresser à la fin de la course, ça ne marche pas. ».

Léon est représentatif d’un certain nombre d’auteurs de violences où le poids du passé, mort du père, alcoolisme de la mère, échec scolaire, disputes familiales, viennent s’ajouter au présent d’une insertion professionnelle difficile, de ruptures nombreuses, et d’une accumulation d’évènements lourds. Cette fragilité psychologique s’avère permanente aboutissant en cas de débordement à des réactions impulsives violentes tournées tant sur l’extérieur que sur la personne elle-même.

Le Tribunal a condamné Léon à six mois de prison avec sursis.