1.2.5. Jacques.

Jacques est âgé de cinquante-et-un ans. Il exerce, depuis 1981, la profession d’artisan menuisier, chef d’entreprise. Il est de nationalité française et a trois enfants âgés de treize, dix-huit et vingt-et-un ans.

Jacques, dès le premier contact, semble fatigué, submergé, stressé. Il dit recevoir beaucoup de courriers, semble s’être trompé d’interlocuteur dont il ne se rappelle pas la fonction. Il pense de prime abord que nous sommes des médiateurs car il « est en conflit avec son épouse. ».

A notre demande d’expliquer ce qui s’est passé, Jacques relate une histoire de relation avec un autre couple débutée il y a dix ans lors de vacances dans le sud de la France. Jacques et son épouse se lie d’amitié avec ce couple. Lui est banquier et elle, ne travaille pas. Avant de connaître ce couple, pour Jacques, rien de particulier ne s’est passé. L’épouse de Jacques travaille avec lui dans l’entreprise où elle fait de la comptabilité.

Pour Jacques, cela a commencé lorsque le couple ami a été muté en Picardie et que l’épouse du couple ami que nous appellerons Nicole, a traversé une période difficile de dépression. Tous les soirs, l’épouse de Jacques pianote sur Internet en contact avec Nicole et aussi son mari. Ce sont des conversations à distance auxquelles Jacques ne participe pas car, dit-il, il est fatigué. Pour Jacques, c’est son entreprise qui prime sur tout. Les soucis professionnels sont nombreux. A son tour l’épouse de Jacques « déprime ».

Jacques sent au bout d’un certain temps que sa femme lui échappe : « Je sentais que ça n’allait plus tous les deux, on s’engueulait et elle m’envoyait que des ondes négatives : la boîte c’était de la merde, les ouvriers c’était de la merde ».

L’année 2004 est l’année charnière : le couple ami est en cours de divorce. Jacques soupçonne une relation affective entre le banquier et sa propre épouse : « Je me suis mis un peu en colère ». Ils font chambre à part : « Elle ne voulait plus de moi. Au mois d’octobre 2004, elle me parle de divorcer. Ca commence à gueuler à la baraque, des fois, j’ai pris des assiettes par la tête, je l’avoue … Elle gueulait, sans arrêt, elle gueulait. ».

L’épouse de Jacques ne vient plus travailler à l’entreprise alors que son travail de comptable l’amenait notamment à établir les devis. C’est dire l’importance de sa présence aux côtés de Jacques.

Au mois d’avril 2005, Jacques rencontre quelqu’un : « Pour moi, c’est un petit peu le bonheur qui arrive… ». En août 2005, une altercation se produit entre Jacques et son épouse pour une question de clés de voiture. Il la frappe. Elle va au Commissariat et porte plainte. Jacques porte plainte à son tour. Une seconde altercation se produit quelque temps après.

Jacques décide de continuer la procédure de divorce. Il part du domicile conjugal et s’installe dans le local de l’entreprise.

A ce moment de l’entretien, Jacques indique sa passion pour le foot qu’il a voulu faire partager aux enfants de son quartier et cela sans nul doute a encore accentué son absence du domicile conjugal. Comme dans le sport, il utilise la violence physique : « dans ma vie, j’ai mis deux ou trois taquets à des gens qui m’ont emmerdé, ou à ma femme qui a poussé trop loin le bouchon ; oui, ce n’est peut-être pas bien, mais à un moment il faut dire ça suffit. ».

Jacques considère que son épouse était malade du fait de la haine qu’elle avait contre lui et de la dépression qu’elle manifeste. Elle a des « ondes négatives » : quand on demande à Jacques ce que sont ces ondes négatives, il dit : « Aujourd’hui, elle est très dévouée pour emmener les enfants à l’école, et puis, elle dit que les enfants « Ca me fait chier ». C’est un vocabulaire qui n’est pas d’elle. L’autre femme, Nicole, n’était pas heureuse, mais la mienne après, elle est devenue pareille ». Effet de miroir et de mimétisme. Elle lui reproche sans cesse cette vie « de merde ». Jacques ne comprend pas ce reproche : pour lui la vie est simple : le travail dans l’entreprise, le foot.

Au début de leur mariage, tous les deux partagent la même envie de réussir professionnellement, chacun à sa place. Progressivement, une fois ces années passées, l’envie de réussir satisfaite, l’épouse de Jacques se sent délaissée, abandonnée : Jacques le reconnaît : « Je n’ai pas été bon à cette époque mais je pensais peut-être uniquement à ma boîte. » Pour Jacques, l’aide psychologique pourtant reconnue comme besoin, a été réalisée par leur couple ami et dans le récit de Jacques les vies s’entremêlent, se reflètent comme une sorte de miroir à l’infini.

Le positionnement de l’épouse de Jacques est révélateur : en fait Jacques attend d’elle qu’elle ait un comportement d’épouse du patron ; tandis qu’elle, elle manifeste un comportement rebelle comme un salarié qui serait sans cesse victime d’injustices. Elle remet à Jacques des arrêts de travail, revendique ses droits de la façon la plus véhémente tout en venant travailler, selon Jacques, aux horaires de sa convenance : « Elle a été une femme extraordinaire mais aujourd’hui avoir une tricheuse comme ça, ça me donne envie de prendre mon baluchon et de partir. ». C’est ce changement radical que Jacques ne comprend pas. Il évoque une raison affective : « En fait ma femme, elle m’aimait moins, pourquoi ? Je ne sais pas ». A cause de la diminution avec le temps de leurs sentiments, la liaison supposée par Jacques avec le mari du couple ami et aussi la diminution de l’implication de son épouse dans la vie de l’entreprise; pour Jacques, son épouse est devenue progressivement quelqu’un d’étranger, d’impossible à comprendre.

Il y a dans la relation de Jacques avec son épouse une escalade vers la violence, violence qui a lieu dans le bureau de l’entreprise puis avec le dépôt de plainte la tension s’amoindrit. Dans cette situation, il est perceptible que la crise est allée en s’intensifiant jusqu’au paroxysme des actes de violence. L’issue de la crise est venue de l’intervention de la Police et de la Justice.

Nous ne connaissons pas la sanction du Tribunal.