3.2.1. La phase expérimentale des cinq premiers groupes : 2002 – 2004.

Le dispositif VIRAGE fut présenté en décembre 2001 lors d'un Comité de pilotage regroupant les services du Parquet de Saint-Etienne, du SPIP31 de Saint-Etienne (Service pénitentiaire d’insertion et de probation), de la DDASS Loire, de la Délégation départementale aux Droits des femmes et à l’Egalité, de l’association Solidarité Femmes Loire et du service hospitalier de Médecine Légale, et débuta en juin 2002.

Le schéma général du dispositif proposé lors de ce Comité de Pilotage de décembre 2001 fut le suivant :

Tableau 11 – Schéma chronologique du dispositif.
1. Situation déclarée de violences conjugales
2. Dépôt de plainte par la victime et envoi de la plainte par fax au Parquet (Cellule de traitement en temps réel des plaintes et signalements) par les services de Police.
3. Réception de la plainte par Cellule du Parquet (Cellule de traitement en temps réel des plaintes et signalements) et traitement de la plainte selon les différentes possibilités indiquées plus loin.
4. Transmission éventuelle de l’identité du mis en cause par le Parquet au Service de Médecine Légale après examen de la situation (vérification des critères d’inclusion dans un groupe : pas de geste de nature criminelle et pas de présence de pathologie psychiatrique grave chez le mis en cause).
5. Envoi de la convocation 32 par le Service de Médecine Légale à l’entretien préalable assuré par les animateurs du dispositif VIRAGE 42.
6. Participation volontaire du mis en cause à un entretien préalable dans le cadre de la Maison de la Justice et du Droit de St Etienne.
7. Entrée volontaire éventuelle dans un groupe après courrier d’invitation émanant du Service de Médecine Légale du CHU de St Etienne.
8. Suivi individuel éventuel à la fin du groupe par un thérapeute extérieur au dispositif. Chaque participant reçoit des indications sur les possibilités de ce suivi individuel.

Source : Document interne du dispositif, décembre 2001

Dès que le Parquet du Procureur de la République (Cellule de traitement en temps réel) reçoit une plainte, le substitut du Procureur a le choix entre plusieurs décisions :

  • Il peut classer la plainte sans suite si les faits lui semblent ne pas nécessiter de poursuite.
  • Il peut décider de poursuivre le mis en cause par des mesures immédiates : garde à vue, incarcération …
  • Il peut poursuivre l’enquête judiciaire en vue d’un Jugement. Une convocation à parution sera adressée au prévenu.
  • Il peut classer la plainte sans suite mais avec l’obligation pour le mis en cause de remplir certaines conditions bien précises. A ce moment-là, un rappel à la loi est organisé par le Délégué du Procureur. Lors de ce rappel à la loi, le Délégué indique au mis en cause les conditions du classement sans suite et des conséquences du non-respect de ces dernières.

L’envoi des coordonnées par le Procureur au Service de Médecine Légale du CHU de Saint-Etienne se fit durant cette première phase expérimentale en parallèle avec la poursuite judiciaire, dans la mesure où la plainte était compatible avec les critères suivants :

  • La plainte ne devait pas comporter de violences criminelles.
  • Et le mis en cause était notoirement exempt de pathologie mentale lourde (psychose notamment).

Les deux critères se sont avérés absolument nécessaires et valides. Nous y reviendrons lors de la présentation de la deuxième phase.

Puis, le Service de Médecine Légale du CHU de Saint-Etienne invitait le mis en cause à un entretien. Les deux animateurs - un travailleur social et un psychologue, homme et femme - recevaient les mis en cause individuellement, dans le cadre de la Maison de la Justice et du Droit de Saint-Etienne, pour leur présenter le dispositif d'accompagnement et de prévention constitué de cinq séances collectives de deux heures, chacune regroupant en moyenne six à huit participants.

Les cinq séances de groupe se déroulaient sur deux mois, les mardis pendant deux heures de 18h30 à 20h30 au Service de Médecine Légale à l'Hôpital de Bellevue (Centre Hospitalier Universitaire de Saint-Etienne). Pourquoi ce lieu ? Nous aurions souhaité que les groupes se déroulent à la Maison de Justice, mais cela ne fut pas possible pour des raisons matérielles d’horaires et de sécurité.

Lors de cette phase expérimentale, la transmission par le Parquet de l’identité du mis en cause au Service de Médecine Légale était le mode d’entrée exclusif dans le dispositif, ce qui déclenchait l’envoi de la lettre d’invitation à un entretien préalable. Cette entrée était fonction du bon vouloir du mis en cause. En adressant une invitation au mis en cause le plus près possible du dépôt de plainte, sans attendre le jugement, nous voulions permettre l’intégration au plus tôt de ce dernier dans le dispositif, ceci dans l’intérêt de la victime et pour profiter des affects surgis chez l’auteur des faits.

Ce mode d’entrée excluait d’autres modes d’entrée :

  • Etait exclue la simple démarche individuelle d’une personne consciente des conflits conjugaux et désireuse d’une aide. En effet, nous ne disposions pas de moyens pour informer le grand public de l’existence du dispositif.
  • Etait exclue aussi, dans cette phase expérimentale, l’obligation post-sentencielle33, notamment celle intimée par les conseillers de probation) de participer à un groupe. En effet, le SPIP, malgré sa participation au Comité de Pilotage de VIRAGE ne s’engagea pas durant cette phase expérimentale et n’adressa pas de personnes condamnées alors qu’il le fit dans la phase suivante.

La lettre d’invitation à l’entretien préalable était composée de la façon suivante34 :

(En-tête de la Maison de Justice et du Droit)
7 rue Ferdinand, Saint-Etienne
M …….
Comme suite au dépôt de plainte vous concernant, nous sommes mandatés par le Procureur de la République pour vous proposer de participer à un dispositif devant accompagner l’éventuelle sanction pénale.
La participation à ce dispositif ne peut revêtir de caractère obligatoire, toutefois toute présence comme tout refus de participer sera indiqué aux services du Parquet.
Nous vous proposons donc un premier entretien le …….. à heures à la Maison de Justice et du droit afin de vous présenter toutes les modalités du dispositif.
En cas d’empêchement, prévenir …..

Lettre signée de M. P., assistante sociale et de J. Laporte, psychologue.

Pourquoi l’en tête de la Maison de Justice et du Droit ? Pourquoi n’est-il pas fait mention de l’Association Solidarité Femmes Loire porteuse du dispositif ?

Ce fut un choix collectif des structures gérant le dispositif de ne pas faire figurer en en-tête l’une des structures :

  • Un en-tête au nom et logo du CHU de Saint-Etienne aurait induit en erreur les mis en cause car ils auraient compris qu’il s’agissait de soins.
  • L’en-tête et l’adresse de Solidarité Femmes Loire était tout autant impossible car elle indiquait l’adresse de l’éventuel hébergement de leur victime, à leur agresseur, ou pire encore elle créait une confusion chez les victimes : leur agresseur était convoqué par la même association qui les soutenait.
  • Un en-tête au nom du dispositif VIRAGE nous semblait prématuré – et peut-être peu incitatif. Ainsi nous fîmes le choix d’un en-tête cohérent avec l’objet du dispositif et un lieu à la fois neutre et adapté – la Maison de Justice et du Droit.

Nous sommes conscient que l’adjectif « neutre » que spontanément nous avons accolé au lieu « Maison de Justice » n’est pas forcément approprié. Pourtant, la cohérence de ce lieu avec l’objectif de prévention des violences était pour nous évident. Il était un signe fort du lien entre le judiciaire et le psycho-éducatif. Nous reviendrons dans la troisième partie de la thèse sur ce point important.

Examinons certains aspects de la lettre : la notion de mandat, et la notion « d’éventuelle sanction pénale ».

Il nous a semblé important d’avertir le mis en cause du lien existant entre le Parquet du Procureur et le dispositif VIRAGE : ce lien est représenté par le terme de mandat formulé par le Parquet sous la forme d’une commande sociale. En même temps, le mis en cause au nom de la présomption d’innocence est simplement invité à se présenter. Sans caractère d’obligation, la participation au dispositif ne peut non plus être l’antichambre de la sanction. Inversement, la participation au dispositif n’est pas une garantie de clémence devant le Tribunal. Ce sont toutes ces informations que nous avons données à ceux qui venaient à l’entretien préalable.

Cette phase expérimentale ne fut financée que par la DDASS Loire. Aucun financement ne vînt de la part des services de la Justice. Le parquet ne s’engagea pas lors de cette première phase car les mis en cause orientés sur le dispositif étaient présumés innocents jusqu’à leur condamnation. De plus, le Parquet comme les services judiciaires tenaient à garder une distance vis-à-vis de ce que l’on pourrait appeler l’action préventive psychologique.

La demande sociale que nous avons analysée plus haut se retrouva ici : d’un côté la répression, de l’autre le social. Le dispositif VIRAGE n’était pas une alternative aux poursuites. En fait, cette bipartition évoluera lors de la seconde phase.

Les structures gestionnaires du dispositif (L’association Solidarité Femmes Loire et le Centre Hospitalier Universitaire de Saint-Etienne – Service de Médecine Légale) présentèrent un bilan de cette phase expérimentale en mars 2004 lors d’un Comité de pilotage. Lors de ce Comité de Pilotage auquel s’étaient joints le Planning familial, le CIDF (Centre d’information et de documentation féminin) et la FNARS (Fédération des structures d’hébergement), il ressortait que :

  • L’action du dispositif devait s’étendre à tout le département de la Loire,
  • Que les Parquets devaient s’impliquer davantage dans le nombre d’orientations de mis en cause,
  • Qu’un appel d’offres ouvrirait la poursuite prochaine du dispositif,
  • Que la présence du CHU de Saint-Etienne était indispensable comme appui scientifique,
  • Qu’un référentiel serait validé par une réunion prochaine de la Commission départementale de la lutte contre les violences faites aux femmes,
  • Qu’un réseau de professionnels devait être créé pour l’organisation de suivis individuels post-groupes.

En septembre 2004, le Préfet de la Loire réunissait la Commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes. Un document de cadrage intitulé : « Action en direction des auteurs de violences conjugales 35 » en date du 2 juin 2004 reprenait les objectifs généraux et individuels du dispositif :

Objectifs généraux :

La mise en place d’actions en direction des hommes violents a pour objectif :

  • de prévenir la réitération de la violence conjugale et ce, en complément des réponses judiciaires
  • d’engager avec les intéressés, un travail de réflexion et d’élaboration autour de la violence, de la sexualité, des rapports Hommes/Femmes, ainsi que des représentations de la virilité, de la féminité et du couple.

Objectifs individuels :

  • Favoriser la prise de conscience par les intéressés de l’interdit de son acte (rapport à la loi).
  • Permettre à chacun l’amorce d’un travail d’élaboration
    • autour de son rapport homme/femme, de ce rapport au sein de son couple passé ou actuel, en lien avec sa sexualité
    • des causes de sa violence et de ses conséquences
  • Engager un suivi.

Il est intéressant de noter que nous retrouvons dans la formulation de ces objectifs particulièrement clairs les deux aspects déjà soulignés :

  • Premièrement des objectifs portant sur les capacités cognitives dans un travail de réflexion, notamment sur les représentations.
  • Deuxièmement des objectifs portant sur une élaboration de type clinique aboutissant à un suivi thérapeutique.

Cette note de cadrage de juin 2004 souhaitait l’ouverture de ce dispositif à trois autres catégories d’auteurs de violences en plus de la catégorie des mis en cause en pré-sentenciel36 :

  • Les mis en cause ayant fait l’objet d’un rappel à la loi et dont le dossier serait classé sous conditions.
  • Les auteurs condamnés (obligation post-sentencielle37 sur orientation par le SPIP, service pénitentiaire d’insertion et de probation.)
  • Et des publics orientés par les acteurs sociaux. En fait, cette catégorie fut envisagée dans le cadre d’un autre dispositif qui ne vit pas le jour. Ce dispositif supposait des moyens que VIRAGE n’obtint pas.

La Commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes sous la présidence du Préfet valida les éléments de cette note de cadrage de juin 2004 et décida d’engager une procédure d’appel d’offre38relative à une intervention en direction des auteurs de violences conjugales. Une nouvelle proposition39 émanant de nos deux structures40 fut rédigée et acceptée par la Commission de l’appel d’offre41 en juin 2005. C’est ainsi que commença la deuxième phase post-expérimentale.

Notes
31.

Les SPIP ont été créés le 13 avril 1949 avec pour mission auprès des établissements pénitentiaires, de favoriser l’accès aux droits et aux dispositifs d’insertion de droit commun des personnes détenues. Le SPIP participe à la prévention des effets désocialisants de l’emprisonnement, aide à préparer leur réinsertion et favorise le maintien des liens sociaux. Les SPIP ont à charge plus de 60.000 détenus et 125.000 personnes condamnées

32.

Un exemplaire de cette convocation figure dans les documents en annexe (Document 1)

33.

Le terme de post-sentenciel correspond à la période postérieure au passage devant le Tribunal et au jugement.

34.

Pour facilité de lecture, nous avons encadré le texte de la lettre.

35.

Le texte de ce document figure ici en italique.

36.

Pré-sentenciel : situation du mis en cause avant le jugement en Tribunal.

37.

Post-sentencielle : après passage du prévenu devant le Tribunal.

38.

Le cahier des charges figure dans les documents en annexe, document 5.

39.

Cette proposition figure dans les documents en annexe, Document 6.

40.

Le service de médecine légale du CHU de St Etienne et l’association Solidarité Femmes Loire dont le nom évolua sous les termes de SOS Violences conjugales 42.

41.

Cette Commission de l’appel d’offre était composée des représentants de la DDASS Loire, et de la Déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité, et du Directeur du SPIP.