3.2.2. La deuxième phase : la poursuite de huit nouveaux groupes : 2005 – 2008.

Pourquoi la date de 2008 ? Le dispositif VIRAGE continuant à ce jour, nous avons dû mettre une échéance à nos observations. Nous avons choisi d’arrêter le cadre de notre étude à treize groupes (Cinq groupes pour la phase expérimentale, et huit groupes pour la phase de réalisation proprement dite).

L’association Solidarité Femmes Loire fut retenue officiellement en juin 2005 pour gérer le dispositif, en partenariat avec le Service de Médecine Légale, sur le ressort des Tribunaux de Grande Instance (TGI) de Saint-Etienne et de Montbrison, et organiser l’animation de quatre groupes d’auteurs de violences conjugales. Le dispositif expérimental précédent était désormais étendu : une nouvelle association à Roanne était agréée pour mettre en place des groupes sur cette ville. En fait, aucun groupe ne fut réalisé sur la ville de Roanne car le nombre de personnes orientées par le Parquet fut insuffisant pour constituer un groupe.

Différentes réunions de travail eurent lieu avant et pendant la mise en route concrète de l’action : 

Ainsi le dispositif lors de cette deuxième phase intégrait trois catégories juridiques d’auteurs :

Tableau 12 – Trois catégories juridiques d’auteurs de violences conjugales. Source : construit par l’auteur.
Catégories Situations juridiques Situations dans le dispositif
Mis en cause Ayant fait l’objet d’une plainte, d’une enquête de Police, en vue d’un passage en Tribunal Correctionnel Invités à participer aux séances de groupe
Condamnés Situation des personnes après le passage au Tribunal. Obligés à participer aux séances de groupe
Classement sous conditions Après un Rappel à la Loi par Délégué du Procureur, classement de l’affaire sous réserve de conditions énoncées par le Délégué. Obligés à participer aux séances de groupe.

La grande majorité des mis en cause orientés et participants aux séances de groupe furent condamnés par le Tribunal Correctionnel à une peine de prison avec sursis (trois à six mois) et parfois avec un temps de mise à l’épreuve. Les juges avaient connaissance par les prévenus de leur participation ou de leur absence au dispositif VIRAGE par les feuilles de présence que les animateurs des groupes distribuaient à la fin de chaque séance. Nous ne saurions aujourd’hui préciser l’impact de cette participation auprès des juges, en tout cas elle ne dispensa aucun des prévenus d’une sanction.

La question du classement sous conditions fut soulevée immédiatement. L’ensemble des acteurs du dispositif VIRAGE ont réagi vivement à la procédure du classement sous conditions.

Voici un extrait de la lettre que nous avons adressée à Madame le Substitut du Procureur de Saint-Etienne le 6 février 200642 :

« Concernant les classements sous conditions, il ne nous paraît pas judicieux de classer les plaintes déposées par les victimes de violences conjugales sous réserve que l’auteur participe à notre dispositif de prévention de la réitération. En effet, nous avons – dès l’expérimentation en 2002 – toujours stipulé que cette action d’accompagnement des auteurs de violences n’avait de sens qu’en complément de la sanction judiciaire et surtout pas à sa place … Notre dispositif est basé sur la loi : si elle n’agit plus, les raisons d’être du dispositif s’effondrent … ».

(Lettre signée des représentants des deux structures gestionnaires et des animateurs du dispositif).

Ensuite, nous citions le cas d’un homme convoqué aux séances de groupe. Sa convocation dans le cadre d’un classement sous conditions avait été lue par sa conjointe qui avait porté plainte auparavant contre lui pour violences conjugales. Celle-ci reçut la lettre suivante43 (mise en italique pour facilité de lecture) de la part du substitut du Procureur de la République :

Objet : dispositif de prévention de la réitération des violences conjugales

Madame,

Vous avez récemment porté plainte pour des faits de violences commises par votre conjoint dont vous avez été victime.

Ces faits constituent une infraction prévue et sanctionnée par le Code pénal. Toutefois, afin de préserver l’équilibre familial et de prévenir la réitération, j’ai décidé de proposer à votre conjoint de participer à un dispositif de prévention des violences conjugales.

L’association Solidarité Femmes (04 77 25 89 10) désignée par mes services prendra contact avec votre conjoint. Si celui-ci accepte le principe de ce dispositif consistant en dix rencontres avec des travailleurs sociaux et des psychologues, et qu’il suit avec assiduité les réunions, j’envisage de ne pas le poursuivre devant le Tribunal correctionnel.

Toutefois, en cas de réitération de faits de même nature, il sera renvoyé devant cette juridiction et jugé pour ces faits.

Signé du Substitut du Procureur.

Recevant cette lettre, la conjointe fit part à l’association Solidarité Femmes Loire, de son étonnement qu’une même association s’occupe d’elle et aussi de son mari, puis de sa colère car la convocation demandait simplement à son conjoint d’aller à ces séances, en contrepartie aucune poursuite n’aurait lieu. Colère car cette absence de sanction sans mention d’un quelconque rappel à la Loi lui semblait totalement injustifiée.

Cette lettre ne mentionnait que l’association Solidarité Femmes sans préciser le nom du dispositif. Cela entretenait une certaine confusion.

Au sein du dispositif VIRAGE, nous avons bien sûr longuement discuté de ce cas qui n’était et ne serait pas isolé. L’association était aussi très inquiète car les termes de la lettre indiquaient clairement à qui l’agresseur devait s’adresser pour avoir des nouvelles de sa victime. Or il arrivait quelquefois que connaissant l’adresse de l’association, des auteurs de violences vinssent sonner à la porte avec menaces et coups redoublés. L’association dût mettre en place des mesures de sécurité car l’une des permanentes fut prise à partie par l’un de ces visiteurs.

Lors de la réunion, les arguments du Substitut du Procureur furent de nature financière et d’efficacité : il n’était plus possible à la Justice de traiter de tels faits qui engorgeaient les Tribunaux et dont la gravité était moindre par rapport à d’autres situations.

Le substitut du Procureur nous indiqua que si nous refusions ce mode d’orientation pour les dossiers classés sous conditions, elle serait obligée de le confier à une autre structure.

Devant cette position, nous réussîmes à négocier que l’auteur des violences serait systématiquement convoqué à une séance solennelle de rappel à la Loi, procédure non systématique auparavant.

Ainsi, voici le document actuel44, modifié (mis en italique pour des facilités de lecture) que reçoit actuellement le mis en cause dans le cadre d’un classement sous conditions :

Cour d’Appel de Lyon

Tribunal de grande Instance de St Etienne

Parquet du Procureur de la République

Le Procureur de la République à M.

Objet : dispositif VIRAGE de prévention de la réitération des violences conjugales.

M.

Vous avez été récemment mis en cause dans une affaire de violences commises sur votre conjointe ou votre concubine et le Parquet a décidé d’ordonner un rappel à la loi avec participation à un dispositif de prévention du renouvellement des violences conjugales.

L’association SOS Violences conjugales 45 prendra prochainement contact avec vous et vous serez invité à participer à dix séances de réflexions et d’échanges.

Je vous informe que si vous suivez avec assiduité les réunions, j’envisage de ne pas vous poursuivre devant le Tribunal Correctionnel.

A défaut, je vous précise que si vous ne respectez pas les convocations fixées ou en cas de renouvellement de faits de violences, vous serez renvoyé devant le tribunal pour être jugé.

Signé : Le Procureur de la République

Après l’envoi de cette lettre, une convocation est adressée au mis en cause par le délégué du Procureur pour comparution pour la séance de rappel à la loi.

A la suite de cette comparution, le mis en cause reçoit le procès-verbal suivant46 :

Cour d’Appel de Lyon

Tribunal de grande Instance de St Etienne

Parquet du Procureur de la République

Procès verbal de comparution devant le délégué du Procureur

Pour un classement sous conditions

N° Parquet : Date du jour,

Devant nous, M.

Délégué du Procureur de la République

Nous trouvant dans la Maison de Justice et du Droit de St Etienne

A comparu : Nom, prénom, date de naissance, adresse, téléphone (du mis en cause)

Qui déclare avoir commis la ou les infractions suivantes :

Violences sur concubine.

Faits prévus et punis par les articles 222-13 du Code Pénal.

Avons rappelé au comparant les termes de la Loi.

Nous lui avons représenté les poursuites qui pourraient être diligentées contre lui et les peines encourues.

(Ceci constitue la première page qui est signée du mis en cause et du délégué)

Nous informons la personne qu’à la demande du Procureur de la République, il lui est proposé un CLASSEMENT SOUS CONDITIONS

Consistant dans l’exécution d’une ou plusieurs des mesures suivantes :

1/ Se présenter aux convocations de SOS Violences conjugales aux dates et heures fixées

2/ Participer avec ponctualité et assiduité aux entretiens qui lui sont prescrits.

Mention : Le non respect de la totalité de ces obligations dans les délais indiqués entraînera le renvoi du dossier à Monsieur le Procureur de la République qui pourra engager des poursuites devant le Tribunal correctionnel.

En revanche, l’exécution de ces mesures entraînera le classement du dossier

(Ceci constitue la deuxième page qui est signée du mis en cause et du délégué du Procureur)

Cette procédure rejoint les recommandations du rapport Coutanceau47 : « Il faut dire avec force que le rappel à la loi de l’auteur de violences est le passage obligé de toute prise en charge véritable. C’est un préalable indispensable à la prise de conscience de l’auteur de violences et à la reconstruction de la victime. Pour mieux prévenir la récidive, il est pertinent que le rappel des obligations de la loi et du caractère intolérable de la violence soit réaffirmé solennellement par un magistrat » (2006, p. 19).

Les premières orientations de cette deuxième phase de groupes d’auteurs de violences débutèrent en octobre 2005.

Les dix séances de groupe – au lieu des cinq précédemment - s’effectueront désormais au rythme d’une séance tous les quinze jours, faisant passer le temps de deux mois à cinq mois.

La structure porteuse du dispositif, l’association SOS Violences conjugales 42, recevant les subventions de la DDASS. Loire, réceptionne les dossiers envoyés par le Parquet mentionnant les coordonnées des mis en cause. Quand est atteint le chiffre de vingt-cinq mis en cause, un courrier émanant de l’Association les invite à participer aux séances de groupe.

Les groupes se réunissent soit dans les locaux du Service de Médecine Légale à l’Hôpital de Bellevue soit dans les locaux prêtés par la Société coopérative "Violence, Travail, Environnement "48.

Comme nous n’avions pas de prise sur le rythme avec lequel nous sont transmis les documents judiciaires, notre projet initial proposait deux entretiens individuels préalables à la mise en route du groupe, à la Maison de la Justice et du Droit, dans l’attente que le groupe se constitue, afin de garder le lien avec les mis en cause.

Constatant qu’un entretien préalable et a fortiori deux entretiens n’amenaient pas davantage de participants aux séances de groupe, et que nous restions dans la même proportion de 25 % de participants par rapport aux personnes orientées, nous avons supprimé ces entretiens préalables. Le budget de ces entretiens ainsi économisé, il a été possible de conduire cinq groupes au lieu des quatre initialement prévus.

Notes
42.

Un exemplaire de cette lettre figure dans les documents en annexe, document 10.

43.

Cette lettre figure dans les documents en annexe, document 9.

44.

Un exemplaire de cette lettre figure dans les documents en annexe, document 13.

45.

L’association Solidarité Femmes Loire a changé de nom pour prendre celui de SOS Violences conjugales 42.

46.

Un exemplaire de ce procès verbal figure dans les documents en annexe, document 11.

47.

Le rapport figure dans es documents en annexe, document 15.

48.

Cette Scoop. n’a aucun lien ni avec SOS Violences conjugales, ni avec la Justice.