4.3.1.6. La sixième séance

Le plan de cette sixième séance est le suivant :

Nous abordons la question de la paternité par un débat à l’intérieur du groupe. Nous sommes chaque fois surpris de la façon dont les participants s’expriment ; à la fois sans pudeur, avouant un désir de rupture totale avec les enfants qui ne lui appartiennent plus, ou mettant à nu une vraie souffrance de l’absence. Souvent les deux coexisteront. Comme si la rupture provoquée serait moins difficile à supporter qu’une rupture subie.

Ils parlent d’un homme qui a affaire (ou à faire) avec le travail, la famille, ses racines. Il n'est pas en couple mais en communication avec une femme. Ils montrent toute la charge qu'ils portent sur leurs épaules et déplorent l'absence d'une compagne avec qui partager.

Un long monologue, comme cela arrive dans chaque séance, permet à l’un des participants, devant le déni des autres, d’affirmer sa responsabilité dans les accusations de sa femme. C’est sa fille aînée qui lui a ouvert les yeux. Il a compris que sa femme appelait la Police car elle n’avait pas d’autre choix pour se protéger. Il l’a frappée violemment quand il a bu ou quand il se sent submergé par les problèmes et quand elle « parle ! ». Il explique son mutisme devant ses enfants, il ne leur dit pas qu’il les aime, qu’il aime sa femme, il dit qu’il a tout gâché, qu’il a envie de changer …

Ce participant nous annoncera à la dernière séance qu’il a repris la vie commune avec sa femme, qu’il essaie de l’écouter, qu’il se méfie de l’alcool… Il dit à chacun des participants de prendre du recul !

La question de l’obligation à intégrer les groupes est importante : actuellement, les participants obligés sont peu nombreux. Note-on des différences selon ce critère ? Oui, mais beaucoup moins essentielles qu’on pourrait le penser. Par exemple, dans un des groupes, un des participants obligés fut le plus impliqué, terminant les séances en souhaitant engager une thérapie avec sa femme.

Nous le disons clairement, l’obligation ne gêne pas ni l’évolution des groupes, ni les évolutions des participants et pour certains, bien au contraire, elle les favorise. Cette constatation nous amènerait à demander que la participation à ces groupes soit rendue obligatoire par le Parquet pour tout délinquant en matière de violences conjugales.

Cette sixième séance sur la paternité sera l’occasion pour les participants de parler de leurs parents et de leur entourage familial.

Nous rejoignons l’observation d‘Alain Legrand, psychologue et président de la FNACAV. : « Chez l’homme violent, quand une situation devient stressante, elle réactive un sentiment de perte de contrôle et des angoisses, renvoyant à des scènes en général venues de la petite enfance, qui l’agressent de l’intérieur » (200367).

A l’intérieur du vide, l’on trouvera souvent l’histoire d’une famille chaotique, des formes de maltraitance, d’évènements traumatiques, des liaisons difficiles, ambivalentes ou négatives. Cependant, dans beaucoup de cas, l’existence de ces traumatismes n’est pas la cause exclusive de cette violence.

La sédimentation progressive de ces mémoires est bien présente tout au long de l’affrontement. Si l’auteur de violences éprouve de la souffrance, c’est une souffrance diffuse, à demi-mots, c’est peu souvent l’expression manifeste de ces couches d’évènements enfouis. A ce propos, il est nécessaire de souligner que les auteurs de violences que nous avons rencontrés à l’occasion du dispositif ne ressemblent en rien aux personnages très loquaces joués par des acteurs professionnels dans l’émission de France 2 du vendredi 17 juin 2005 : ils ne fournissent pas d’emblée une analyse si éloquente de leur mal être ou de leurs émotions, bien au contraire.

Autre caractéristique de ces groupes d’auteurs de violence, le comportement parfois boulimique de certains en matière de camaraderie : « Nous sommes dans la même situation, nous sommes pareils … nous avons vécu les cris de la police, les reproches du juge, l’humiliation de la garde à vue, le passage devant le tribunal, la stricte froideur du jugement, la honte… »… De la Femme, de leur femme, peu en parlent. Elle, elle est libre, victime certes, mais victime avec des droits, souvent un entourage…

« Nous pouvons parler, pensent-ils, car nous sommes entre hommes ». Montrant, sans montrer, cette souffrance diffuse, présente au bout des séances dans certains longs monologues, ils indiquent le plaisir de se raconter et sont comme pris au piège de leurs paroles. Les mots deviennent elliptiques, évocateurs, prudents. Nous sommes entre participants-hommes avec chaque fois cette part du vide que l’un cache à l’autre.

L’enjeu est celui d’une crise identitaire, certains psychologues parlent de l’absence d’unité du self : « Ce sont les reproches de ma femme qui me font le plus mal ».Ces reproches atteignent cette part de fragilité, de blessure, ce que nous regroupions autour du complexe de castration. Dans l’émission de France 2 déjà citée nous avons noté la répétition du poids des reproches dans l’escalade du conflit. La question du père manquant et du père violent, maltraitant est au cœur de cette blessure. La transmission psychique de l’imago paternelle comme organisateur d’un certain nombre de comportements masculins est défaillante ou négative.

Qui frappent-ils ?

Cette question peut paraître à la fois naïve et très abstraite. Elle ne doit pas éviter de désigner celle sur qui pleuvent les coups.

Ils frappent aussi cette partie d’eux-mêmes, une sorte de double qui leur montre – en la rappelant du passé – qu’il y a du vide en eux : défauts identificatoires, résurgence de conflits internes non résolus lors de l’absence et de la perte, atteintes profondes de l’idéal du Moi, failles narcissiques. Ils frappent car ils ne supportent plus leur propre faiblesse, leurs propres manques, leur propre regard à travers le regard de l’autre. Ils vont frapper à coups répétés, sans fin, pour avoir le silence.

La question de l’après-procès et de ses conséquences dans la dynamique conjugale finit par devenir une des préoccupations du groupe. La moitié des participants sont d’ailleurs restés en couple après une période de séparation plus ou moins longue suite aux actes de violence.

Les conséquences des peines de sursis sur la relation de couple sont ensuite abordées par les membres du groupe. A ce moment-là, la position initialement persécutrice vis-à-vis de la justice paradoxalement semble s’estomper même si les personnes trouvent la sanction trop lourde. Pour preuve, ceux qui ont été jugés et condamnés tentent de convaincre un des participants de se rendre au procès malgré ses réticences.

Les hommes disent que leur condamnation à des peines de sursis induit des répercussions dans leur relation avec leur compagne. Ils se disent dans un premier temps « à la merci des sautes d’humeur de leur femme », se positionnant presque comme des enfants qui n’auraient plus le droit de dire ce qu’ils ont à dire et notamment de rentrer en conflit sous peine d’être incarcérés. « Depuis le procès, ma femme se sent plus forte, il y a un changement dans la relation, ça rééquilibre, je mets les nerfs dedans ! ». C’est comme si la menace permanente du sursis les réduisait à l’impuissance, à l’immobilisme : « Si je dis quelque chose, si je me mets en colère, elle va porter plainte ». Que faire ? La sanction réintroduit le comportement d’évitement. La répétition n’est pas loin. Comment sortir de cette nouvelle impasse ?

A ce moment-là, les participants abordent ce qui se passe dans le concret de la relation de couple, dans le « ici et maintenant » et les perspectives d’avenir, à savoir comment chacun fait pour contenir ses colères, ses désaccords et ne pas passer à l’acte dans les moments de crise conjugale.

La description des « efforts consentis » pour ne pas passer à l’acte est très riche et instructive par la diversité des différentes stratégies évoquées : partir, sortir, appeler un tiers de confiance, chercher de l’aide extérieure, ne pas répondre, avoir à la pensée les éventuelles conséquences, se rappeler de ce qui a été discuté dans le groupe, remettre à plus tard la discussion si elle est trop vive, s’éloigner quand je perçois la colère monter en moi, le fait de ne pas attendre d’être « hors de moi » pour dire les choses.

Ainsi les hommes parlent des rituels qu’ils ont trouvés pour se contenir, de ceux qui fonctionnent le mieux. Ils décrivent ainsi leurs compétences en ce qui concerne leur capacité à contenir leurs colères et la violence. Un participant qui ne pouvait envisager de quelle que manière que ce soit la séparation à cause de ses enfants qui sont « tout » pour lui, se met à penser tout haut que ce serait peut-être la moins pire des choses compte tenu de ce qui se passe dans la relation avec sa femme. Bien sûr, nous profiterons de cette interrogation pour orienter la réflexion du groupe sur la façon dont les enfants peuvent vivre des situations permanentes de disputes.

Les participants s’interpellent entre eux pour tenter de trouver des solutions.

La solidarité maintenant s’exprime sur un autre mode qu’au départ, il s’agit dès lors d’une entraide centrée sur les stratégies, pour trouver des solutions au lieu d’une solidarité initialement dirigée contre la justice, la femme, ou la belle famille. Les hommes sont ainsi reconnus dans ce qu’ils font pour se contenir

La dynamique de ces groupes de prévention pourrait se résumer ainsi : d’une projection initiale massive sur l’extérieur (femme, belle-famille, justice) de leur responsabilité concernant les actes violents qui s’inscrivaient dans la dialectique agresseur –victime, ils évoluent pour la plupart vers une appropriation des moyens les plus efficaces pour prévenir et contenir leur colère.

« J’ai dégagé un peu ici durant ce groupe de parole, je n’ai pas tout gardé, j’ai trouvé quelqu’un pour parler dehors, chacun a son problème, ça nous donne beaucoup à réfléchir. Ca nous donne des solutions pour l’avenir ».(Un participant du huitième groupe)

Le fait de pouvoir décrire des stratégies pour contenir la violence dans le présent et le futur de la relation conjugale permet aux participants de construire une autre histoire non pas seulement à propos de leurs actes violents mais surtout une histoire sur la manière de contenir celle-ci, dans laquelle le changement est possible.

Ces rencontres nous font constater une souffrance importante liée à une sur-culpabilisation. C’est une sur-culpabilisation de l'acte commis mais surtout d'avoir été traité comme un délinquant, d'être passé devant le tribunal…

Ces hommes sont en position de faiblesse et ils le disent.

Ils ne ressemblent pas à l'image que donnent les femmes victimes. En effet ces dernières se montrent lors d'une demande d'écoute et d'aide. Elles sont certes plus ou moins dans un processus d'affranchissement de cette violence, ce qui n'est pas le cas pour les hommes qui sont en train de tout perdre68 : épouse, enfant, famille, honneur… Ces hommes confirment que la violence n'est pas tant le résultat d'une relation conflictuelle que l'expression d'une représentation défaillante d'eux-mêmes.

Notes
67.

Article non publié et donné par l’auteur.

68.

Nous ne sommes pas en train de comparer la détresse des hommes et des femmes : les victimes, fort heureusement reçoivent une aide de la part de la société et des structures concernées. Les hommes se perçoivent et sont perçus dans une situation de détresse différente : ils souffrent de la distance avec leurs enfants, de cette vie à reprendre, d’un présent et d’un avenir incertains. Cependant on sait que statistiquement, ils reprendront plus rapidement que leur ex-conjointe une nouvelle relation affective.