4.4.2.2. Les étapes de changement.

A la question de savoir si le processus de changement dans des groupes d’auteurs de violences conjugales obéirait à une évolution formalisée, Norman Brodeur (2006) décrit le modèle transthéorique reposant sur une succession de stades de changement appelés : précontemplation, contemplation, préparation, action, maintien, et conclusion. Le vocabulaire québécois pouvant surprendre, nous essaierons d’en préciser la transcription dans notre propre expérience. On pourrait remplacer le mot contemplation par celui d’implication. Le premier temps – et cela rejoint tout à fait le modèle de Prochaska – n’est pas celui de l’hésitation mais celui de l’observation, certes curieuse mais passive. Puis au fur et à mesure des séances, l’implication grandit jusqu’à des manifestations comportementales décisives. Enfin apparaît la question du maintien et de la persistance du changement.

Le modèle transthéorique décrit par Brodeur propose les cinq stades suivants après une analyse des différentes formulations :

  • Stade 1 : Le déni
  • Stade 2 : La reconnaissance du problème
  • Stade 3 : Les transformations préalables au changement
  • Stade 4 : Le changement de comportement
  • Stade 5 : L’engagement à long terme et la croissance personnelle.

La description de ces stades rejoint le modèle de Prochaska, construit initialement à partir de la dépendance au tabagisme. Le premier temps, que l’on oublie facilement, est celui du fumeur heureux, puis devant la pression sociale, celle de l’entourage familial, des questions se posent au fumeur qui reste indécis. Une lente maturation se fait. Appliqué à la question des violences conjugales, ce modèle connaît une limite car nous pensons que l’arrêt des violences ne repose pas seulement sur une décision fortement influencée par la peur de la sanction mais aussi dans une certaine assurance, une sorte de sécurité interne et aussi des conditions de vie satisfaisantes. La comparaison entre l’arrêt de la cigarette et l’arrêt des violences physiques dans un couple est sans doute limitée. Cette sécurité est forgée dans la présence de comportements nouveaux basés sur le respect et le dialogue.

Aussi la progression d’un stade à l’autre sera-t-elle facilitée par des stratégies expérientielles dans les premiers stades et par des stratégies comportementales dans les stades suivants. C’est ce que nous avons aussi constaté : les premières séances sont plus propices à l’expression de récits d’évènements, tandis que les dernières séances ouvrent à la mise en œuvre de jeux de rôle et d’exercices comportementaux.

J.C. Kaufmann décrit ainsi les étapes du changement : « La première étape est une période critique qui prépare le terrain en introduisant le doute, le malaise, l’incertitude… Des identifications imaginaires alternatives s’installent de façon de plus en plus récurrente, en conflit avec les schèmes portés par la mémoire implicite, provoquant des dysfonctionnements, des lourdeurs et manques de fluidité gestuelle… L’individu ne fait plus bloc avec lui-même… La seconde étape est celle de la crise ouverte et du basculement… La seconde étape le fait au contraire soudainement plonger dans l’univers de la rupture subjective.» (2008, p 193-194). La troisième étape est une nouvelle construction du récit, un récit donnant cohérence et organisation au nouvel Ego. Dans ce travail de construction, Ego « doit faire le tri dans ses « supports »…, remanier une multitude de micro ressources, expérimenter et faire valider par autrui la « mise en mouvement de soi » ». (op. cit. p. 196).

Cette citation de J-C Kaufmann est très intéressante car elle indique que les changements qui se manifestent, pour les plus crédibles, sont des micro-changements. C’est bien ce que nous observons dans les groupes. Nous allons plus loin illustrer cette affirmation en décrivant ces changements dans les comportements et les dires de sept participants. Préalablement nous voudrions examiner les facteurs d’aide au changement.