4.5.3.1. Le cas de Marcel.

Si nous présentons le cas de Marcel c’est parce que nous avons eu avec lui et son épouse une série d’entretiens, à leur demande, dans notre cadre professionnel hospitalier, cinq ans après sa participation au premier groupe de prévention du dispositif. L’étude du cas de Marcel correspond à une vision plus longitudinale des situations de violences et permet d’entrevoir des éléments de réponse aux questions suivantes :

  • Quels ont été les effets du groupe sur le comportement de Marcel ?
  • La violence a-t-elle continué ou s’est-elle arrêtée ?
  • S’est-elle transformée sous une autre forme de violence ?
  • Si ces effets ont été bénéfiques et ont permis l’arrêt de la violence, cet état s’est-il maintenu et combien de temps ?

Marcel a 64 ans. Il est retraité après avoir été formateur dans une structure publique de formation. Il vient me voir car, dit-il, il a gardé un bon souvenir du groupe qu’il a suivi en 2002. Marié, il a une fille âgée de 40 ans, célibataire et sans enfant. Il dit qu’il n’en peut plus, que sa femme est très autoritaire, qu’ils se disputent très souvent « pour des riens », qu’elle l’a relégué dans son local où il bricole. Ils font chambre à part. Le couple traverse une situation de crise.

Marcel a des idées suicidaires. Il a fait, il y a trois ans, une tentative de suicide par médicaments et a été hospitalisé pendant un mois dans un Hôpital psychiatrique. Interrogé sur ses idées suicidaires, il expose un scénario de mort par arme à feu.

Lors du premier entretien, Marcel semble à bout. Il se plaint d’être exclu dans un atelier où il ne voit personne. Il y a deux mois, une vive altercation s’est produite dans le couple. Marcel affirme que c’est sa femme qui est malade, elle souffre de jalousie. Elle lui reproche de « regarder des femmes légères, des putes. ». Marcel raconte un épisode qui s’est produit dans une grande surface. Il avait dit bonjour à une collègue. A la suite de son bonjour, son épouse a poussé en public des cris de colère et de jalousie en laissant entendre que Marcel et cette collègue avaient une relation sexuelle.

Marcel m’indique que le groupe auquel il a participé en 2002 a eu un effet pendant un an. Pendant un an, il a essayé d’autres comportements, il a essayé le dialogue, l’évitement des situations de conflit, mais selon lui la jalousie de sa femme a pris le dessus. Pour Marcel, c’est un vrai harcèlement.

Dès que Marcel parle de la jalousie de sa femme, les idées suicidaires émergent comme associées. « Je ne pourrai pas revivre ce que j’ai vécu lors de mon arrestation, de mon passage au Tribunal … J’en finirai et ça, elle l’aura sur la conscience ! ».

Un deuxième puis un troisième entretien n’apporteront pas d’éléments nouveaux ; ce qui m’amènera à proposer à Marcel que son épouse vienne à notre prochain entretien. Son épouse accepte la proposition.

A ma demande de préciser l’objet des disputes, l’épouse de Marcel que nous appellerons Marcelline, expose les points suivants : Marcelline reproche à Marcel une inactivité : « Il ne fait rien, je lui demande de faire ceci ou cela, il ne le fait pas ou alors il met un temps fou pour le faire et le finir. ». Elle lui reproche de parler à d’autres femmes. Elle raconte l’épisode de la grande surface et complète l’histoire par « J’ai vu l’effet dans son pantalon, de cette femme, une p… ». Elle raconte que cela s’est produit une autre fois. Pour elle, lorsque Marcel rencontre ces femmes, ces p…, il éjacule. Marcel nie mais je sens une certaine gêne. Très rapidement, il s’énerve et fait état d’idées suicidaires. Marcelline dévalorise Marcel sans arrêt.

Marcelline se présente, et sa présentation sera sur bien des points en opposition à celle de Marcel. Tandis que lui est un homme manuel fier de l’être et fier de son habileté, elle est une Directrice des Ressources Humaines en retraite. C’est elle qui mène la famille soutenue par sa fille.

Tandis que la famille de Marcel est très chaotique avec des situations d’inceste et d’alcoolisme chez les parents de Marcel, la famille de Marcelline est décrite sans problème majeur. Marcelline a fait découvrir à son mari « des choses dont il n’avait pas idée », une certaine culture, l’art, la musique. Marcel le reconnaît. Il a épousé une femme plus cultivée que lui. Marcelline marque fortement cette différence en décrivant son mari de la façon la plus négative. Cherche-t-elle à expliquer et justifier une séparation ? Ou bien cette dévalorisation forcée la valorise-t-elle ?

Le couple a réalisé un certain équilibre dû à une répartition précise des tâches : à Marcelline la gestion et la direction de la famille, à Marcel les travaux manuels, les réparations et la maintenance d’un parc immobilier important acquis au fil des années.

Laissant le couple s’exprimer, je constate que les sujets sont anodins sauf ces deux épisodes, marqués par une tonalité sexuelle, qui sont étranges, niés par l’un et affirmés sans ambiguïté par l’autre. Marcel aurait eu encore récemment, selon Marcelline, une histoire avec la voisine. « Il la regarde par dessus ce mur de deux mètres. Elle, la voisine, je vois bien, veut me parler pour me dire tout cela … ». Devant ma réflexion que son mari est libre de parler à une voisine sans qu’elle le considère comme une relation louche et adultère, Marcelline répond : « Il faut que je le contrôle sans cesse, je regarde ce qu’il regarde, je regarde à qui il parle car je n’ai pas confiance. ». A ce manque de confiance pointilleux, Marcel répond par l’affirmation de ses compétences manuelles, par une hygiène de vie sans tâche, par une volonté de s’être fait tout seul malgré les difficultés de son enfance et de son adolescence. Il est conscient que son épouse l’a aidé au bon moment par ses conseils et ses interventions. Cependant aujourd’hui il ne supporte plus son autoritarisme et sa jalousie. On peut supposer que le départ récent en retraite, que la vie autonome de sa fille sans enfant, que cette vie commune si proche et si permanente aient été des facteurs rétrécissant l’horizon de Marcelline, l’amenant ainsi à porter un regard sans cesse contrôlant.

Durant ces entretiens, nous avons essayé de faire baisser la tension du couple en montrant l’efficacité d’un couple aux multiples projets, à la grande complémentarité de Marcel et Marcelline, à l’habileté incontestable de Marcel, au sens pratique de Marcelline.

Que pouvons-nous conclure de l’histoire de Marcel et de Marcelline ?

Elle nous renforce dans la double conviction suivante :

  • que les effets d’un groupe, fut-il nommé groupe de prévention, sont limités à la fois dans le temps et dans ses conséquences. Il est certain que Marcel a réfléchi à son comportement, qu’il a cherché à le modifier, qu’il n’a pas hésité à appeler à l’aide lorsqu’il a perçu chez lui une augmentation de la tension. Il a su qui pouvoir contacter car il avait participé à des séances de groupe.
  • qu’un suivi doit se dérouler sur plusieurs années et concerner les deux partenaires du couple.

Nous reprendrons ces points dans notre dernière partie.