2.1. Les modalités groupales sont-elles un moyen d’arrêt de la violence physique ?

La littérature tant française qu’étrangère notamment québécoise (Rondeau, Werk, in Broué & Guèvremont, 1999) en ce domaine est insuffisante. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude comparant deux populations d’auteurs de violences conjugales, l’une, comme la nôtre, constituée de participants aux séances de groupe et une autre population constituée de personnes n’ayant pas participé à des séances de groupe.

Pour notre part, la vérification de l’hypothèse que participer à des séances de groupe serait un moyen de prévenir la répétition des actes de violences conjugales, n’est pas probante.

En effet, pourquoi attribuer ce taux de récidive d’environ 20 %94 que l’on peut juger relativement faible, aux effets des séances de groupe ? La peur d’une sanction, même si elle comporte du sursis, peut influer sur cette donnée. De même, la séparation avec la conjointe peut rompre (au moins pour la moitié des participants aux séances) le scénario de violence. Enfin, la pression de l’entourage n’est sans doute pas négligeable comme facteur de changement.

Cette vérification a été tentée avec des données limitées à 54 personnes dont les caractéristiques sont similaires à la population de 400 personnes. Il faudrait pouvoir comparer deux populations avec des caractéristiques similaires, l’une ayant participé aux séances de groupe et l’autre n’ayant pas participé.

Par ailleurs le résultat d’un taux de récidive de 20 % est sujet à caution. Les dossiers informatiques du Parquet peuvent être considérés comme incomplets. En effet, ces dossiers sont limités à l’indication de faits déclarés – c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un dépôt de plainte et de poursuites de la part du Parquet- et de faits survenus dans la zone géographique de juridiction du Procureur de St Etienne. Tout fait de récidive commis en dehors de cette zone géographique sera inconnu.

Nous sommes conscient que l’arrêt des violences physiques, même si elle est une étape importante pour la victime, ne constitue pas en soi l’arrêt des conflits et des violences verbales ou psychologiques.

Nous avons noté que ce taux de récidive de 20% des 54 participants est deux fois moins important que le taux général de récidive (précisé plus haut) donné par le Ministère français de la Justice pour l’ensemble des violences aux personnes.

Cette même hypothèse ne pourra être examinée qu’au vu d’un suivi informatique du Ministère de la Justice sur plusieurs années.

Par ailleurs restent nombre de questions sur l’évaluation de la récidive : doit-on en rester à l’examen des dossiers judiciaires ? Peut-on interroger la personne suivie et à quel niveau de gravité doit-on fixer l’existence de la réitération ? Peut-on interroger la conjointe et sur quels éléments de crédibilité doit-on agréer son témoignage ? L’on sait que des facteurs de honte et de culpabilité peuvent fortement influer sur la déclaration déjà peu fréquente de ces violences.

Les délais de la réitération nous ont amené à penser que le suivi des auteurs de violences conjugales devait s’étaler sur une période suffisamment longue, environ deux ans. Ce temps de suivi n’apparaîtrait-il pas au Parquet difficile à accepter dans le programme qui sera mis en place dans l’avenir et dont nous essaierons de dessiner les contours dans notre dernière partie.

Au vu de ces résultats, nous sommes amené à nous poser d’autres questions : notamment, la commande sociale à l’origine de ces groupes et du dispositif VIRAGE était-elle celle de la prévention de la récidive ?

Certainement à le lire dans la réponse à l’appel d’offres et si nous comparons, comme nous le faisons au sein de la FNACAV, les différents dispositifs présents aux réunions, la commande sociale est partout identique. Pourtant les résultats ne sont pas à la hauteur de l’objectif.

La co-animation des groupes est réalisée par un-e travailleur-e social-e et un psychologue. Nous expliquons en quoi la violence est un délit, qu’elle est un acte sans mots, qu’elle s’insère dans un processus d’escalade. En cela, nous faisons appel à la responsabilité de chacun, à un fonctionnement cognitif, à une morale, à une normativité. Parfois la co-animatrice - issue de l’association SOS Violences conjugales 42 – explique le ressenti de la victime et réagit devant certains comportements de déni.

Le terme de responsabilisation, présent comme objectif dans la majorité des dispositifs français, mérite sans conteste un examen clinique et épistémologique car a priori il appartient au registre de la morale. Le dispositif VIRAGE, comme l’ensemble des dispositifs de prise en compte des auteurs de violences conjugales, aurait-il pour objectif de faire la morale ? A-t-il pour objectif de faire un rappel à la loi ? De rappeler les règles du vivre en couple ? Quelle légitimité aurait-il pour cette tâche ?

La co-animation d’un-e travailleur-e social-e et d’un psychologue nous a paru pertinente dans le positionnement différent de chacun. Au travailleur social, l’affirmation d’une normativité dans un processus d’ordre pédagogique. Au psychologue, une neutralité bienveillante et l’élaboration clinique. Nous sommes dans un modèle psycho-éducatif. Si nous ne gardions uniquement que l’aspect éducatif et judiciaire, nous serions conduits à un modèle de nature cognitivo-comportementaliste. La présence d’un psychologue nous permet de mettre en avant un objectif d’élaboration, un objectif aux effets thérapeutiques.

Notre courrier d’invitation aux séances de groupe mentionne un mandat de la part du Procureur. Nos valeurs accompagnant le cadre du dispositif sont claires : elles précisent le lien avec la Justice, complémentarité mais indépendance. Le dispositif VIRAGE n’est pas un dispositif socio-judiciaire, il n’est pas un dispositif de sanction mais un dispositif d’accompagnement dans l’intérêt avant tout des victimes. Pourrait-on le positionner comme un outil de prévention sociale centré sur le travail psychique des participants ?

Exposer ce positionnement est important car il diffère de celui de l’approche systémique ainsi que le présente Vouche (2009) : dans le modèle systémique, la violence répond à un phénomène interactionnel. Il cite la description qu’en donnent R. Perrone et M. Nannini : « La violence n’est pas un phénomène individuel, mais la manifestation d’un phénomène interactionnel. Elle ne trouve pas seulement son explication dans l’intrapsychique, mais dans un contexte relationnel. La violence est la manifestation d’un processus de communication particulier entre des partenaires » (Vouche, op. cit. p. 45). Il y a plusieurs choses qui nous gênent dans cette position systémique. D’une part, cette vision de la violence comme mode de communication – même particulier – nous paraît totalement en décalage avec ce qu’en disent les victimes pour lesquelles il s’agit plutôt d’une absence totale de communication ! Par ailleurs, réduire la situation de violence à une phase contextuelle nous semble très simplificateur. Oubliée la dimension de la domination masculine, oubliée le contexte, bien réel, de facteurs sociaux déterminants, mais ces deux oublis, déjà très significatifs, sont accompagnés d’une pétition de principe d’une certaine naïveté : chaque partenaire est en situation de réciprocité vis-à-vis de l’autre. La relation symétrique est égalitaire. Au fond, voici la vieille antienne : si il l’a frappée, c’est qu’elle l’a cherché ! Confusion entre un conflit dans lequel chaque partenaire est impliqué, et la responsabilité d’un acte, responsabilité qui n’appartient qu’à un seul des partenaires. Vouche nommera ce responsable « l’instigateur » (p. 50). Le mot semble pris dans les filets du psychologisme. Pourquoi ce choix ? N’y-a-t-il pas d’autres mots plus explicites : le (ou la) responsable de la violence, le délinquant, l’auteur des violences…

Notes
94.

Ce taux de 20 % de récidive est le résultat d’une recherche sur dossiers effectuée par les services du Procureur de la République de St Etienne à partir d’une liste de 54 auteurs de violences ayant participé à au moins cinq séances de groupe, liste figurant dans les documents en annexe.