2.2.1. La reconnaissance des faits et le développement de la responsabilisation.

Nous avons constaté avec D. Dutton (op. cit) que la phase de violence était précédée d’un « certain rétrécissement du champ de la pensée ». Il appelle ce moment « la pensée déconstruite ». L’attention de l’individu se concentre sur des actes concrets, progressivement la distance avec les choses se réduit, l’immédiat devient l’essentiel. Il est intéressant de noter que ce même rétrécissement de la pensée se produit dans la crise suicidaire (Debout, op. cit.). Le moment de violence est un moment très particulier où émerge un autre soi, un soi inconnu. La reconnaissance de l’étrangeté de ce moment est importante car il s’agit d’une réappropriation et d’une intégration de cette étrangeté comme faisant partie de soi.

Avec le travail de groupe, les participants élargissent leur champ de vision à une certaine temporalité, ils mettent du sens, une logique, à tout le processus qui précède et suit les violences. Le récit va s’étoffer de ces sens et de cette logique. Il va devenir discours sur un événement et non plus seulement un discours sur soi.

Frédéric La Belle (in Broué et Guèvremont, 1989), superviseur à Option, structure québécoise s’occupant des auteurs de violences conjugales, définit ainsi la responsabilisation : d’abord l’affirmation claire et précise de l’acte, reconnaître son comportement, ensuite la manifestation d’une volonté de changement, souvent micros-changements du quotidien. La culpabilisation à la différence de la responsabilisation induit la volonté au contraire de ne pas sortir de l’évènement, de ne pas envisager de changement. Ces changements comme la responsabilisation qui en découlent indiquent que le conjoint violent passe d’une position passive à une position d’initiative, d’une position d’évitement à une position active où le Je prédomine et où le Elle apparaît. Enfin le processus de responsabilisation suppose l’existence d’un lien entre le passé et l’actuel, entre l’expression de situations difficiles du passé et leurs répercussions. Ainsi le processus de responsabilisation suppose l’acquis d’une certaine assurance interne rejaillissant sur l’estime de soi.

P. Arnault (2009) cite une étude de C.S. Silvergheid et de E.S. Mankowski (2006) où ceux-ci distinguent trois niveaux de processus dans la prise en compte des auteurs de violences conjugales : « Le premier niveau comprend la responsabilisation de la part de l’auteur liée au dépassement du déni, le développement de l’empathie, la réduction de la dépendance, l’amélioration des facultés de communication, l’engagement de changer d’attitude et de comportement ainsi que de « tirer le meilleur de la situation » ». (p. 92)

Nombreux sont les dispositifs qui ont fait le choix d’un objectif de responsabilisation. A titre d’exemple, les intervenants de Praxis (Belgique) indiquent que « l’objectif poursuivi est de donner au participant la possibilité de se réapproprier son comportement violent, de le considérer autrement que comme impulsif, accidentel et de lui donner du sens, dans une approche de responsabilisation »95. Pour ces intervenants, il y a trois niveaux de responsabilisation :

  • Dans la reconnaissance des faits de violence,
  • Dans le groupe au présent, en parlant des difficultés d’aujourd’hui,
  • Et par rapport à la vie de groupe : le respect du cadre et des règles.

Le concept de responsabilisation s’avère un concept fourre-tout : il participe de l’approche philosophique et de la morale, nous l’employons ici plutôt dans le champ éducatif.

Quant aux sous-objectifs suivants, ils sont mis en œuvre dans les séances :

  • Nous revenons souvent sur l’exposé du déroulement des faits de violences conjugales, et ceci dès la première séance.
  • Repérer la différence entre violence, conflit et agressivité est le thème des deux premières séances. Il est réalisé par un exposé de courte durée et par une réflexion de groupe.
  • Reconnaître les signes précurseurs de sa violence est aussi un thème des premières séances et il fait appel à la réflexion de chacun des participants. Le terme de Piques notamment a été préféré par chaque groupe pour caractériser un moment de tension intraconjugal.
  • Aborder le sens de l’interdit de violence et le sens de la loi est un thème redondant et fait partie de chacune des séances. La participation de la Directrice adjointe du SPIP apporte à cette thématique un enrichissement particulièrement apprécié.
  • L’objectif de mieux connaître les rouages judiciaires et ses obligations est abordé par les questions nombreuses des participants.

Si le terme de responsabilisation appartient à la Morale, son usage actuel n’est pas un hasard. Il s’insère comme positif dans le paradigme du risque que nous allons développer plus loin en étudiant le passage de la déviance au risque.

Notes
95.

Extrait du site internet de Praxis.