3.1. De la déviance au risque.

‘« Les richesses s’accumulent en haut, les risques en bas. » Ulrich Beck, 2001⁹⁶ ’

Les hommes auteurs de violences conjugales auraient été considérés, dans les années soixante comme des déviants. Aujourd’hui ils sont considérés comme ayant des comportements à risque. Le regard a changé et avec lui les concepts qui l’accompagnent.

La déviance fut un des concepts-clé des années soixante.

La pratique des groupes telle que nous l’avons définie s’insère dans une histoire de la subjectivité, dans une des évolutions décrite par M. Foucault en 1984 (Zarka, 2002). Le souci de soi est une conversion du regard de l’extérieur vers l’intérieur. Il comprend les pratiques de soi sur soi. La démarche engagée auprès des auteurs de violences conjugales peut être considérée comme faisant partie de ces pratiques, une pratique de réflexivité.

Les participants aux séances de groupe manifestent une « pratique de soi sur soi » (on pourrait dire « une pratique d’eux-mêmes ») semblable à une démarche spirituelle.

Un tableau va nous permettre de comparer les deux pratiques :

L’une regroupée sous le terme de réflexivité, l’autre sous les termes de recherche spirituelle.

Source : construit par l’auteur.

A quoi pourrait servir la comparaison proposée ici de la pratique de réflexivité et de la pratique de spiritualité ? Sinon pour souligner la présence de processus communs d’auto-régulation et d’auto-constitution qui en découlent. Les correspondances entre les deux démarches révèlent un corpus commun. Les deux démarches concourent ou tendent à concourir à une modification de l’existence des sujets, à une certaine « conversion », à une purification du regard, à une parole vraie et authentique… Les deux démarches visent une transformation des individus vers davantage de civilisation, une certaine vérité de soi sur soi. Serrés entre le judiciaire et le psycho-éducatif, les hommes violents sont amenés à leur propre transformation par le système même qui les a autorisés à la violence. La domination masculine rejette la violence masculine, faisant de l’homme nouveau un double pacifié.

Foucault prolonge-t-il les thèses de N. Elias que nous avons exposées précédemment ? Le lien entre le Droit et l’Ethique est sans doute le moment constituant de l’homme nouveau voulu tant par les classes moyennes et supérieures, au service de la pax familia.

Succédant au concept de criminalité suspect de naïveté, le concept de déviance est apparu en 1948. Il va connaître une grande vogue dans les années soixante. Mais sa durée de vie s’avèrera relativement courte et sa critique ardente. On lui reprochera de comporter des jugements de valeurs moraux, un contenu idéologique.

Avec le concept de déviance se constituait la normativité sociale liée à un ordre social entendu souvent comme ordre moral.

La déviance, comme ensemble des comportements de transgression des règles et des normes de l’ordre social comportait des présupposés, notamment que la société reposait sur un système homogène de production naturelle de socialisation et de contrôle social.

Ainsi la déviance devenait la conséquence de l’échec de cette production socialisante. La défaillance de cette socialisation mettait en fait en évidence, comme un recours, le bien-fondé de l’Etat-Providence.

Dans les années soixante-dix, le paradigme normatif évolue (Groenemeyer, 2007). Le déviant fait place au différent, rendant obsolète l’idée d’une intégration normative de la société. L’utilisation du terme de déviant était devenue synonyme de stigmatisation, d’étiquetage. Le concept de différence veut éviter jugements de valeurs, et références à des normes sociales taxées d’idéologiques.