L’action publique à la croisée des chemins sectoriel et territorial

Le territoire est-il le nouveau principe explicatif de l’action publique ?26 A cette question aussi nettement posée, la réponse qui suppose un « refroidissement théorique »27 sur l’appréhension d’un éventuel passage de la logique sectorielle à la logique territoriale est contrastée. En effet, l’impression qui se dégage est celle d’une grande difficulté à faire entrer les résultats de la recherche empirique dans un cadre théorique précis.

Précisons d’emblée que le territoire n’est pas « une idée claire en soi ». Point de départ, point d’intersection et point d’arrivée de l’action publique qui le façonne au gré de son déroulement, il est un faisceau de logiques d’actions souvent contradictoires en quête de convergence. Comme le souligne Alain FAURE, «Il est clair qu’il n’y a pas de paradigme territorial au sens classique défini par le physicien Thomas S. Kuhn : le territoire n’est pas une catégorie de pensée comparable aux notions de secteurs, de régulation, de centre/périphérie, de leadership ou de configuration »28. Il s’agirait pour le géographe Henri CHAMUSSY, d’une « notion heuristique , pré-scientifique et en plein devenir »29.

D’ailleurs, loin de s’opposer, secteur et territoire peuvent se compléter, se croiser comme l’attestent de nombreuses études30. La transversalité de méthodes et de contenu propre à l’action publique territoriale conduirait même à l’émergence de nouveaux secteurs. On se trouverait alors dans une forme d’hybridation de l’action publique. Ce qui signifie que la permanence des politiques sectorielles ne réfute pas l’existence des politiques territoriales mais que les politiques publiques sectorielles ne sont plus territorialement aveugles.

Désormais, l’heure est à la critique de la question territoriale. Le titre de l’ouvrage collectif L’action publique et la question territoriale 31 résume le scepticisme face à la portée heuristique de la notion de territoire qui est assimilée à un facteur de contingence. Emmanuel NEGRIER32, dans un exercice d’analyse interdisciplinaire considère que « la spécificité du territoire comme objet est de moins en moins évidente ». Il recourt à la contingence territoriale qu’il caractérise par « l’affaiblissement de la spécificité du territoire comme notion, comme niveau d’analyse, en même temps que son importance croissante pour analyser les politiques publiques en action » 33 .

Dans cette perspective d’atténuation de la portée heuristique du territoire, l’inter territorialité soutenue par le géographe Martin VANIER34, est présentée comme une démarche pragmatique qui déplace les enjeux de l’action publique dans les mécanismes de coordination et dans la gestion des interdépendances entre niveaux d’action.

Notes
26.

DOUILLET A.C. « Fin des logiques sectorielles ou nouveaux cadres territoriaux ? » dans FAURE A., DOUILLET A.C.(dir.) L’action publique et la question territoriale, Presse Universitaire de Grenoble, 2005, p 271-279.

27.

FONTAINE J., HASSENTEUFEL P. « Quelle sociologie du changement dans l’action publique ? Retour au terrain et refroidissement théorique », dans FONTAINE J., HASSENTEUFEL P. (dir.). To change or not to change. Les changements de ‘action publique à l’épreuve du terrain. Presse Universitaire de Rennes, 2002, p 9-29.

28.

FAURE A. « La construction du sens plus que jamais en débat » dans FAURE A., DOUILLET A.C. (dir.) L’action publique et la question territoriale, Presse Universitaire de Grenoble, 2005, p 11

29.

CHAMUSSY H. « Le territoire, notion heuristique ou concept opératoire? dans DE BERNARDY M., DEBARBIEUX B (dir.) Le territoire en sciences sociales. Approches disciplinaires et pratiques de laboratoires, Publication de la MSH-Alpes, 2003, p 167-182.

30.

A titre d’illustration voir MULLER P. « Les politiques publiques entre secteurs et territoires », Politiques et Management public, vol 8, n° 3, p 19-33.

31.

DOUILLET A.C., FAURE A. (dir.) L’action publique et la question territoriale. Presses Universitaires de Grenoble, 2005, 300 p.

32.

NEGRIER E., FAURE A. (dir.) Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale. Critiques de la territorialisation, L’Harmattan, 2007, 302 p.

33.

NEGRIER E. « Penser la contingence territoriale » dans NEGRIER E FAURE A. (dir.) Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale. Critiques de la territorialisation, L’Harmattan, 2007, 302 p 15.

34.

VANIER M. Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, Economica, 2008, 160 p.