L’analyse cognitive de l’action publique

L’approche cognitive est mobilisée en premier chef pour appréhender le niveau national des agendas et de mise en œuvre des politiques sectorielles. Elle renvoie à trois modèles de prise en compte « des idées, de préceptes généraux et de représentations sur l’évolution sociale »54 dans l’analyse des politiques publiques. Les référentiels55, les paradigmes56, les systèmes de croyances57 sont autant de cartes mentales « par lesquelles sont produites et légitimées des représentations, des croyances, des comportements, notamment sous la forme de politiques publiques (.)»58. Cette théorie qui veut dépasser le caractère purement contingent de l’ordre social fournit une grille de lecture de la construction sociale de la réalité59 à partir des idées en action, des savoirs officiels et officieux, de standardisation des tâches, de répertoires d’action professionnels, des représentations qui orientent l’action plus qu’elles ne la déterminent60.

Appliquée à l’action publique territoriale, l’analyse cognitive montre que si les appartenances partisanes basées sur les grands récits idéologiques ont réduit leur influence, de nouvelles idéologies professionnelles portées par les élus, les experts et les fonctionnaires façonnent l’ordre social local. C’est dans les instruments de l’action publique et les outils de la régulation que se logent les valeurs, les visions de la société, l’intelligibilité de ses dysfonctionnements et de sa régulation61. Les « idées territoriales en action » circulent d’une configuration territoriale à l’autre dans une logique de référence plus que de référentiel62. C’est dans ces interstices qu’une pluralité d’acteurs participent à leur production. Comme l’action publique en général et le développement territorial en particulier se caractérisent par des problèmes non structurés qui impliquent la transversalité de contenus et de méthodes de travail qu’aucun métier en soi ne peut saisir dans sa totalité 63 , les « élus entrepreneurs », les « généralistes du développement territorial »64 et les membres de la société civile ne peuvent agir efficacement qu’en s’intégrant dans des mécanismes de divisions et de coordination des savoirs et savoir-faire d’action publique territoriale. Ils se retrouvent alors en situation d’expertise.

Notes
54.

MULLER P., SUREL Y. L’analyse des politiques publiques, Montchrestien, 1998, p 47.

55.

JOBERT B., MULLER P. L’État en action. Politiques publiques et corporatisme, PUF, 1987, 242 p.

MULLER P. « Référentiel », dans BOUSSAGUET L., KACQUOT S., RAVINET P. (dir) Dictionnaire des politiques publiques, 2ème édition 2006, p 373.

Le référentiel y est défini comme un « processus cognitif fondant un diagnostic et permettant de comprendre le réel et d‘un processus prescriptif permettant d’agir sur le réel ».

Voir aussi MULLER P. Les politiques publiques, Que Sais-Je, n° 2534 Paris, PUF, 3ème édition, 127 p.

56.

HALL P. The Politic Power of Economics Ideas, Princeton, Princeton University Press, 1989.

57.

SABATIER P. “The Advocacy Coalition Framework : Revisions and relevance for Europe”, EUI/Centre Robert Schuman, Jean Monnet Chair Lecture, Florence, 1997.

58.

MULLER P., SUREL Y, op. cit., p 50.

59.

BERGER P., LUCKMAN T. La construction sociale de la réalité. Armand Colin 2ème édition, 2005, (1966), 288 p.

60.

Les dispositifs étudiés produisent du savoir sur et pour le territoire. Rapports experts, schéma prévisionnel, diagnostic territorial, charte, mesures statistiques, Système d’Information et de Gestion régional, organisation de colloques, formation continue spécifique aux métiers du développement territorial en sont les formes les plus répandues.

61.

ARNAUD L., LE BART C., PASQUIER R. « Déplacements idéologiques et action publique. Le laboratoire des politiques territoriales », dans ARNAUD L., LE BART C., PASQUIER R (dir.) Les idéologies émergentes des politiques territoriales. Sciences de la société n° 65, 2005, Presses universitaires du Mirail, p 3-7.

62.

DETRIE D. « Politiques contractuelles : la question locale sous tension ? », dans FAURE A., NEGRIER E. (dir.) Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale. Critiques de la territorialisation L’Harmattan, 2007, p 141-146.

63.

DURAN P., THOENIG J.C., « L’Etat et la gestion publique territoriale » article cité p 597. « A des problèmes susceptibles d’être traités par des routines succèdent des problèmes difficiles à structurer. Le degré de leur structuration est fonction des connaissances disponibles (.)En quelques années, la gestion territoriale est passée d’incertitudes structurées à des incertitudes non structurées. Une certitude structurée se présente comme une variable à l’intérieur d’un programme d’action déjà constitué : l’attention se porte sur les questions de mise en œuvre et l’incertitude relève pour l’essentiel de la disponibilité d’information. Elle exige, pour être réduite, que les routines d’adaptent aux spécificités locales. Les incertitudes non structurées caractérisent des situations où la connaissance nécessaire à la formulation générale des problèmes, c'est-à-dire la théorie d’un problème général, est absente. Leur part ne cesse de croître au détriment des premières ».

64.

GAUDIN J.P. L’action publique. Sociologie et politique, Presse de sciences Po et Dalloz, 2004 p 225. Nous utilisons ce terme en référence aux types d’acteurs que l’analyste désigne en tant que généralistes de l’action publique.