Les instruments d’action publique

Pierre LASCOUMES et Patrick LE GALES définissent les instruments d’action publique comme « un dispositif technique à vocation générique porteur d’une conception concrète du rapport politique/société et soutenu par une conception de la régulation »75. Ils questionnent tant l’efficacité de l’action que les marges de manœuvre du politique. En matière de gestion publique territoriale, leurs usages et leurs effets sont équivoques. Ils peuvent indiquer un mouvement tendanciel de recentralisation76, de réduction des marges des politiques du fait de leur quasi automaticité77 comme être le signe de l’indétermination des finalités de l’action publique à l’instar du projet. Selon Gilles PINSON78, le projet est d’abord un instrument de mobilisation sociale construit sur la valorisation de l’existant, les ressources territoriales, économiques culturelles, identitaires, qui conduit à dépasser les clivages entre savoirs experts et savoirs profanes mobilisés par des acteurs aux légitimités diverses. Son indétermination, quant aux finalités de l’action, en fait sa spécificité. Cette plasticité en fait un outil de type communicatif et informationnel qui traduit une redéfinition des modalités de la régulation de l’action publique territoriale. Dans la gouvernance négociée de l’action publique, l’accent est mis sur les méthodes d’action, la recherche de références pour rendre compatibles des objectifs qui divergent en raison de la pluralité des acteurs et de leurs légitimités.

Dans ce genre d’outil la recherche du modus vivendi atteste peut-être d’une dépolitisation de l’action publique mais elle n’est pas pour autant signe de neutralité axiologique. La participation d’acteurs privés, entreprises, experts, associations, coordination de citoyens et d’usagers définissent un type d’action qui relève autant des préceptes du new public management 79 que de l’impératif délibératif80.

Au final c’est la recomposition des modalités de légitimation de l’action publique et du rôle de l’État par les techniques qui est questionné. Animateur de la pluralité ou contrôleur, telle semble se dessiner l’alternative qui s’offre à l’État en restructuration. L’État serait mobilisateur de la gouvernance négociée ou alors il s’attacherait à une fonction plus régulatrice, de surveillant et contrôleur81.

C’est de cette indétermination que naît notre intérêt pour l’ingénierie territoriale. En faire un objet de recherche nous permet d’apporter des éléments de compréhension dans ce qui se joue dans la recomposition des relations entre l’État et le pouvoir local. Dans la régulation de l’action publique et dans son régime de légitimation.

Notes
75.

LASCOUMES P, LE GALES P. (dir.) Gouverner par les instruments, Presses de Science Po, 2004, p 14.

76.

ESTEBE P. « Les quartiers une affaire d’Etat. Un instrument territorial » dans P, LE GALES (dir.) Gouverner par les instruments. Presses de Science Po, 2004, p 47-70.

77.

LORRAIN D. « Les pilotes invisibles de l’action publique. Le désarroi du politique » dans P, LE GALES (dir.) Gouverner par les instruments. Presses de Science Po 2004, p 163-197.

LORRAIN D., THOENIG J.C.; URFALINO P. “Does local politics matter ?”. Débat entre D. Lorrain, J.-C. Thoenig et P. Urfalino, Politix, Année 1989, vol. 2, n° 7, p. 115 – 123.

Pour Dominique LORRAIN, « ce que l’on observe en fait, c’est que l’on utilise de plus en plus un savoir faire normé –dans le domaine du social, de l’économie, du culturel, du sport- et que des actions qui se menaient un peu au hasard rentrent progressivement dans une mécanique avec des méthodes d’analyse, des types de réponses, etc. Bref, on codifie, on introduit de la norme.(.) Cette montée d’un savoir scientifique peut être analysée comme un besoin de mise à distance des hommes politiques à l’égard des besoins de la base sociale, comme un moyen de justifier et de rendre incontournable les type de politique qu’ils vont proposer ».

78.

PINSON G. « Le projet urbain comme instrument d’action publique », dans LASCOUMES P. Le GALES P.(dir.), Gouverner par les instruments, Les presses de science po 2004, p 200-233.

PINSON G. « L’idéologie des projets urbains. L’analyse des politiques urbaines entre précédent anglo-saxon et détour italien », dans ARNAUD L., LE BART C., PASQUIER R (dir.) Les idéologies émergentes des politiques territoriales,. p 29-52..

PINSON G. « Projets de villes et gouvernance urbaine. Pluralisation des espaces politiques et recomposition d’une capacité d’action collective dans les villes européennes », Revue française de science politique 56 n°4 Août 2006 p 619-651

79.

PETERS G « Nouveau Management Public » dans BOUSSAGUET L., KACQUOT S., RAVINET P. (dir) Dictionnaire des politiques publiques. 2ème édition 2006, p 306-312.

80.

BLONDIAUX L., SYNTOMER Y. « L’impératif délibératif », POLITIX, vol 15, n°57/2002, p 17-35.

81.

LASCOUMES P., LE GALES P. « De l’innovation instrumentale à la recomposition de l’État », op. cit,.

p 357-369.