Analyser les interactions entre le savoir et le pouvoir et leurs effets sur l’action publique

L’ingénierie territoriale est composée d’une pluralité d’acteurs, de statuts et d’institutions (la DIACT et ses relais, les services déconcentrés de l’État, des universitaires, des agents de développement territoriaux et autres chargés de mission) qui participent à la création de savoirs et savoir faire professionnels où s’entremêlent démarche savante et conseil à l’action. Dans le type d’action hybride qui en ressort, qui mêle les cadres d’analyse de l’action et les cadres de l’action elle même, la question se pose de savoir si l’ingénierie n’est qu’une sous catégorie de l’expertise. Ou si elle est une nouvelle forme d’interaction entre le savoir et le pouvoir83. Dans les deux cas, contribue-t-elle à changer les modalités d’action publique territoriale dont l’analyse parfois normative et fonctionnaliste confond procédure de création de territoire et territoire ? Comme le précise le géographe Yves JEAN, à propos de la définition du « territoire pertinent » de l’action publique, «le discours de l’aménagement repose sur cette illusion du maillage idéal, pour mettre en concordance des phénomènes qui ne peuvent pas l’être systématiquement -la géographie, l’histoire, l’économie, la culture-. Cette volonté totalisante, globalisante n’est pas pragmatique : il ne semble pas possible, sauf exception, d’obtenir une adéquation entre les limites de l’espace légitime, celles des espaces vécus des habitants aux mobilités et aux espaces de reconnaissance très variables, celles des entreprises, celles des polarisations et celles de la "culture locale»84.

Plus largement, la substitution implicite de l’illusion spatiale à l’utopie sociale85 et du territoire à la hiérarchie, dans le sens où le système d’action est localement organisé sur la base du problème à résoudre, laisse supposer que la double définition du cadre de l’action et du problème à résoudre est régulatrice en soi. Il s’ensuit que l’analyse du cadre de l’action, c'est-à-dire l’invention du territoire, participe tant de la définition de la politique publique que du problème qu’elle est sensée résoudre. Autrement dit le contenant en vient à se confondre avec le contenu.

Notes
83.

Pour Michel FOUCAULT, « l’exercice du pouvoir crée de manière permanente du savoir et à son tour le savoir porte en lui des effets de pouvoir. Encore plus : le pouvoir ne peut s’exercer en l’absence du savoir, et il est impossible que le savoir ne génère du pouvoir » cité dans MARTUCELLI D. Sociologie de la modernité. Folio essais, Gallimard, 1999, p 289-322.

84.

JEAN Y. « Pays et agglomérations : décalages entre le modèle conceptuel de l’unité géographique et la diversité des situations (problématique à partir d’exemples pris en Poitou-Charentes et région centre) », Les nouvelles politiques locales Cahiers lillois d’économie et de sociologie. L’Harmattan, 2001, p 76.

85.

Ibidem p 70. L’auteur relève de manière critique l’existence d’un discours « développementaliste » normatif selon lequel « l’unité spatiale aurait des vertus de régulation sociale réductrices des inégalités sociales ».