Définir les modalités de régulation de l’action publique

Nous déterminerons la contribution de l’ingénierie territoriale à la régulation de l’action publique territoriale multi-niveau parce que, nous l’avons signalé, la mobilisation de savoirs et instruments en tant que facteurs de production de l’action publique questionne les relations entre décision politique et savoir technique. Pour Jürgen HABERMAS90, ces relations peuvent être analysées au regard de trois modèles de régulation. Le premier, qu’il nomme « modèle décisionniste », s’inscrit dans la lignée des travaux de Max WEBER sur la domination bureaucratisée91 et la distinction entre le savant et le politique92. Soit l’impossible concordance entre rationalité en valeur et rationalité en finalité. Autrement dit l’action politique n’a pas de fondement rationnel ; il est impossible de trouver «  à la décision pratique dans une situation concrète, une légitimation suffisante grâce à la raison. »93.

Le deuxième, le modèle technocratique, inverse le rapport de dépendance entre le spécialiste et le politique. Le politique devenant « l’organe d’exécution d’une intelligentsia scientifique », ne conserve « dans l’État qu’une activité de décision tout à fait fictive » 94.

Dans le troisième modèle qualifié de pragmatique, la scientifisation95 du politique repose sur une interrelation critique entre scientifiques et politiques qui conduit non seulement à traduire le savoir scientifique en savoir pratique, mais aussi à rationaliser scientifiquement la domination politique en l’ouvrant via des procédures ad hoc à l’opinion publique. L’ingénierie territoriale par la création d’instruments, de savoir d’interface pourrait constituer le chaînon manquant dans l’avènement d’une régulation pragmatique. Elle favoriserait ainsi non le surpeuplement mais la démocratisation de l’action publique territoriale. Ou alors elle ne pourrait être qu’une forme impure de la régulation technocratique.

Notes
90.

HABERMAS J. « Scientifisation de la politique et opinion publique » La technique et la science comme idéologie.(68), Paris, Gallimard, 1973, p 97-132.

91.

WEBER M. Economie et société Tomes 1 et 2 PLON, collection Pocket, édition de 1995, 409 p et 424 p.

92.

WEBER M. Le savant et le politique. PLON Bibliothèques 10/18 Paris ,1963, 222 p.

93.

Ibidem p 99.

94.

Ibidem p 100-101.

95.

HABERMAS J. « Scientifisation de la politique et opinion publique » dans La technique et la science comme idéologie.(68), Paris, Gallimard 1973 p 106.

« Dans le cadre du modèle pragmatique, la stricte séparation entre les fonctions d’expert spécialisé d’une part et celles du politique d’autre part fait place à une interrelation critique qui ne se contente pas de retirer à l’exercice de la domination tel que le justifie l’idéologie les fondements douteux de sa légitimation mais le rend globalement accessible à une discussion menée sous l’égide de la science, y apportant ainsi des modifications substantielles. (.) Il semble (.) qu’une certaine forme de communication réciproque soit à la fois possible et nécessaire, de sorte que d’un côté les experts scientifiques conseillent les instances qui prennent les décisions et qu’inversement les politiques passent commande aux savants en fonction des besoins de la pratique. C’est ainsi que, d’un côté, le développement de techniques et de stratégies nouvelles se trouve orienté à partir de l’horizon explicité des besoins et des interprétations historiquement déterminée de ces besoins, c'est-à-dire en fonction de certains systèmes de valeurs ; et ces intérêts sociaux dont les systèmes de valeurs sont le reflet font, de leur côté, l’objet d’un contrôle qui les conforte avec les possibilités techniques et les moyens stratégiques qu’il faut mettre en œuvre pour les satisfaire. Ils se trouvent donc pour une part confirmés, pour une part récusés, ou articulés et re-formulés en termes nouveaux, voir dépouillés de leur caractère d’obligation idéalisé par l’idéologie