Hypothèse et démarche

Hypothèse

La construction de notre terrain d’enquête est orientée par l’hypothèse selon laquelle l’ingénierie territoriale est le vecteur d’une recentralisation paradoxale de la gestion de l’action publique territoriale.

On observe un double mouvement dont l’articulation est problématique. D’une part, l’ingénierie territoriale « est un impératif »96 pour permettre aux Pays de fixer les périmètres de leur projet de développement territorial. Dans cette perspective, le pouvoir local se doterait de la « la compétence de ses compétences ». C’est-à-dire qu’il organiserait un groupe de professionnels du développement qui disposent de méthodes de définition et de résolution des problèmes pour recomposer le paysage territorial, l’inter-territorialité, l’intersectoriel, en un mot, l’intégration de l’action publique à l’échelle des territoires de projet. Autrement dit l’ingénierie territoriale pourrait être considéré comme le système socio technique révélateur des processus cognitifs territorialisés nécessaires à la conception et à la mise en œuvre de l’action publique par un pouvoir local qui s’autonomiserait du centre. D’autre part, l’Europe et l’État rationalisent leurs interventions par la définition d’une doctrine commune de développement territorial et la standardisation des procédures que l’ingénierie territoriale est chargée de mettre en œuvre. On assiste alors à une recentralisation de l’action publique formalisée dans un gouvernement à distance qui normalise et contrôle l’action au détriment des enjeux territoriaux.

Le caractère composite de l’ingénierie territoriale trouverait alors son homogénéité dans la production et l’application de savoirs et savoir faire qui contribuent à ladite rationalisation. C’est la raison pour laquelle nous assimilons l’ingénierie à une bureaucratie professionnelle territoriale.

Très brièvement, l’ingénierie territoriale est une bureaucratie dans le sens où en tant que système socio technique, elle vise à ordonner le monde en recourant à une rationalité procédurale orientée vers la mise en relation d’acteurs et de savoirs multiples. Comme dans toute bureaucratie, la standardisation des procédures et des formations est un moyen de coordination et de contrôle. Elle rend prévisibles les comportements des acteurs qui interviennent en son sein ou pour son compte.

Elle est professionnelle parce qu’elle s’appuie sur son élément clé que sont ses professionnels, fonctionnaires ou non, qui peuvent agir en relative indépendance de leur ligne hiérarchique, en restant proche de la demande sociale. Cette relative indépendance est possible parce que la bureaucratie professionnelle s’appuie sur la standardisation des qualifications et des formations.

Cette bureaucratie professionnelle est territoriale parce qu’elle cherche à répondre à des besoins constatés sur un territoire donné. Le travail du professionnel consiste à définir dans quel cas standard se trouve la situation territoriale : c’est le diagnostic. Il applique ensuite le programme standard qui correspond à ce cas : c’est la mise en œuvre.

Toutefois, la bureaucratie professionnelle territoriale n’est pas qu’une forme organisationnelle parmi d’autres. Elle doit trancher un dilemme idéologique : Instrumentaliser la société sous couvert de développement territorial, ou socialiser les instruments de développement territorial.

Notes
96.

Comme le souligne le député apparenté PS, Jean Claude DANIEL auteur du Rapport d'information n° 2416 enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 24 mai 2000 fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire sur le volet territorial des Contrats de Plan État-Région.