Construction du matériau empirique

Si le « terrain » se révèle avec l’empilement des données, il est illusoire de prétendre « tout recueillir »151. Aussi avons-nous préféré diversifier les sources pour les recouper entre elles et apporter de l’intelligibilité aux faits sociaux étudiés. Leur sélection va de pair avec la progression et la précision de la problématique. Faits et sources s’inscrivent dans un contexte historique, politique, institutionnel construit par le chercheur dont la réalité ne se répète jamais, parce qu’un énoncé n’équivaut pas à la réalité mais à un autre énoncé. Notre souci est de décrire précisément et avec fiabilité ce contexte152. Aussi notre travail s’appuie-t-il essentiellement sur des sources de première main. En conséquence, les entretiens en constituent le socle informatif. Mais ils sont complétés par des documents écrits officiels (débats législatifs, dispositifs législatifs et réglementaires, schémas régionaux d’orientation de l’action publique, contrats de Pays, rapports parlementaires, rapports d’évaluation des politiques régionales, diagnostics territoriaux, chartes de développement), des documents écrits professionnels (rapports d’activités professionnelles, supports méthodologiques professionnels), des supports de communication politique et institutionnelle locale, par des articles de presse locale et nationale. Sur l’accès aux sources écrites, on note la montée en puissance depuis cinq ans de la numérisation de supports écrits librement téléchargeables.

Des échanges informels avec les usagers du territoire, commerçants, artisans, agriculteurs, viticulteurs, lycéens, étudiants, s’ils ne sont pas cités dans la rédaction fournissent par ailleurs quelques « bruits de fond » qui participent également à la compréhension de l’action publique étudiée.

Se déplacer pour connaître la matérialité des lieux de l’action

Le choix du matériau et du terrain est pratique. Sa proximité géographique en favorise l’étude sur pièces et sur place. Les kilomètres parcourus (environ 3000 en automobile, en train, à pied) à l’occasion de la recherche des sources sont un des éléments importants à la connaissance du territoire étudié. La ruralité prend un sens particulier au mois de novembre, dans le brouillard, sous la pluie, à Saint Haon Le Châtel dans la Côte Roannaise !

Mais au-delà de l’anecdote, il nous a semblé scientifiquement pertinent de connaître les lieux physiques de l’action, surtout quand on prétend parler de territorialisation de l’action publique. Par exemple, se rendre à un rendez-vous dans les locaux de la communauté de communes du Pays de la Pacaudière dans le Roannais permet de comprendre ce que signifie l’enclavement d’un territoire, mais aussi par la signalétique qui indique le local flambant neuf, par le matériel informatique à disposition, de vérifier l’effort financier à destination des EPCI réalisé par les anciens CGD. L’attention portée à ces quelques éléments concrets facilite la comparaison entre les deux territoires quand, à l’opposé une communauté de communes tout aussi rurale comme celle Nizerand Morgon dans le Beaujolais ne bénéficie pas de local en propre mais se réfugie dans une salle annexe à la mairie du village.

Les déplacements sur place mettent l’enquêteur face aux difficultés des territoires ruraux, à l’isolement des villages. L’animation d’un dispositif territorial CDPRA, la mobilisation de la société civile dans les conseils de développement est une gageure, voire un exploit quotidien dans des villages qui vieillissent ou qui vivent grâce à l’économie résidentielle ne durant que deux mois dans l’année. Ainsi la portée d’une action comme la réalisation d’un réseau d’écoles de musiques au sein d’un territoire rural en zone semi montagneuse comme la partie Nord Ouest du Roannais, ou encore la création d’une activité de portage de repas dans le Haut Beaujolais protège l’enquêteur contre les préjugés sur ce qui serait trop vite classé comme petits problèmes d’action publique. On peut certainement entonner le refrain du saupoudrage propre au développement territorial, mais favoriser l’accès à l’apprentissage d’un instrument de musique à des petits villageois poursuivant leur formation musicale au Conservatoire dans la capitale régionale n’est pas anodin.

Enfin, des activités a priori hors sujet comme la randonnée pédestre dans les Pierres Dorées dans le Beaujolais, dans le parc de la Madeleine ou les Bois Noirs dans le Roannais ne relèvent ni de l’exotisme méthodologique ni de l’égarement de l’enquêteur. Elles autorisent des rencontres avec les usagers du territoire qui participent aussi à la construction sociale de la réalité que l’apprenti chercheur tente d’établir.

Sources écrites

Le Pays est un espace politique qui produit du savoir et des savoir-faire pour et sur le territoire (rapports parlementaires, rapports experts, schéma prévisionnel, diagnostic territorial, charte, connaissance statistique des Pays, Système d’Information et de Gestion régional, organisation de colloques, formation continue spécifique aux métiers du développement territorial). C’est sous l’angle privilégié de leur standardisation, de leur circulation et de leurs usages, composants des échanges politiques territorialisés, que sont étudiées la mise en œuvre et la coordination des Contrats de Développement de Pays en Rhône-Alpes et des dispositifs infra régionaux connexes. Aussi avons-nous classé les sources écrites en trois catégories présentées ci-dessous. Cette classification comme toutes les classifications est discutable. Elle permet cependant de les ordonner relativement à la contrainte pratique qu’elle exerce sur les acteurs participant au processus de développement territorial. Les kits fournis par la Région, les guides de la DATAR, aujourd’hui dénommée Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité du Territoire (DIACT), les contrats ou textes règlementaires, etc. sont autant de cadres cognitifs et normatifs qui orientent l’action. Elle a été sujette à révision au fil de l’observation.

Tableau non exhaustif des sources écrites en tant que savoirs d’action

CORPUS ET DOCTRINE

METHODES

TECHNIQUES DE MISE EN OEUVRE

Rapport Auroux
Rapport Chérèque
Rapport Morvan sur les SRADT
Rapport Mercier
Travaux de la DATAR, DIACT
Doctrine rhônalpine de développement territorial
Textes de lois, débats parlementaires, circulaires
Procès verbaux de réunions
Méthodes de diagnostic utilisées en stratégie d’entreprise du type Boston Consulting Group (opportunités/ menace, stratégie/action)
Rédaction de la charte de Pays
Démarche et management de projet (structure organisationnelle en projet)

Contrat
Fiches action, fiches méthodes
Kits région
Kits DATAR
Documents de formation ARADEL (les cahiers du développeur)
Support en ligne sur www.projetdeterritoire.fr , Support méthodologique du crdr www.crdr.org
et autres sites internet

Presse locale et nationale

Les archives numériques des éditions ligériennes et rhodaniennes du quotidien Le Progrès de 2001 à 2008 constituent le support de notre revue de presse locale. Des gazettes locales à édition limitée complètent ces données.

Les archives numériques du Monde, du Figaro, de Libération, des Echos et de l’Humanité sur cette même période ont aussi été consultées pour rendre compte des prises de position des différents acteurs sur les projets étudiés, de les resituer dans des enjeux politiques nationaux et locaux.

Les archives de presse numérisées, mise en ligne sont référencées comme les ouvrages et articles imprimés. Elles ne sont pas des pages de sites Internet qui disparaissent avec leur changement d’adresse. Ce qui signifie que nous ne précisons pas la date de leur consultation au même titre que n’est pas précisée la date de lecture d’une livre ou d’un article imprimé dans une revue.

Statut et approche réflexive de la source écrite

Pour expliquer le rapport que nous entretenons avec les sources écrites, nous nous appuyons sur l’exemple de la charte de territoire. La charte de Pays peut être assimilée à un pacte originel qui à partir d’un diagnostic sur la situation démographique, économique, sociale et culturelle de l’espace Pays propose une stratégie de développement territorial. Elle repose sur une matrice Atouts, Faiblesses, Opportunités, Menaces couramment utilisée en science de gestion. C’est d’une part une base de données utile par la quantité et la diversité des informations quantitatives et qualitatives recueillies sur et pour le territoire. D’autre part elle s’inscrit dans une perspective politique ; elle est objet de négociation entre les différents acteurs locaux (conférence régionale de développement territorial, présidents des communautés de communes, députés-maires des villes centres de Villefranche sur Saône et Roanne, conseils de développement, comités de pilotage) que les rédacteurs, c'est-à-dire les chargés de mission du Pays doivent prendre en compte. Enfin elle sert de base au conventionnement et au financement des opérations qu’elle prévoit. Donc elle n’est en aucune façon une source d’information brute, neutre. Sa portée doit être contextualisée relativement aux étapes du processus d’institutionnalisation du Pays.

D’autres sources écrites comme les plaquettes de communication éditées par les différentes institutions prenant part à cette action collective ont été relevées pour identifier les représentations du territoire et du développement qu’elles véhiculent.

D’autres sources écrites officielles, qui, a priori, semblent importantes apportent moins. Par exemple les procès verbaux des comités de pilotage. Ils informent sur la composition de la configuration d’acteurs par le relevé des présents et excusés. Mais leur contenu sous forme de phrases plus ou moins bien reprises par le ou la secrétaire de séance est souvent d’un faible intérêt parce que les problèmes importants ont été arbitrés de manière informelle au sein du bureau politique qui précède la réunion du comité de pilotage. Les informations pertinentes sont obtenues par d’autres voies.

Enfin, la source écrite même officielle n’est pas exempte d’imprécision qui peut conduire l’enquêteur à une fausse interprétation. Nous empruntons à la réflexion de Jean Pierre VERNANT, grand scientifique et héros de la résistance qui s’interrogeait dans son ultime ouvrage153 sur la portée de cette expérience humaine dans ses travaux de scientifique154. En particulier sur le travail d’historien qui doit articuler remémoration, témoignages, documents archives et la portée probante de ces différents éléments. Cherchant à éclaircir les conditions d’une décision de l’Éducation Nationale et de ses sbires qui aurait pu entraîner son arrestation par la Milice au printemps 1944 sans l’intervention salvatrice « d’hommes quelconques -personne et tout le monde- », il rapporte qu’après vérification des archives concernant ses activités d’enseignant agrégé de philosophie et de militant communiste résistant, les Renseignements généraux chargés de le surveiller l’avaient confondu avec son frère155, agrégé de philosophie et résistant comme lui. Sans conséquences fâcheuses pour ce dernier. Se questionnant sur ce « qui s’est réellement passé » pour délier « le certain de l’incertain » en ces temps lointains, il relate plus loin la falsification d’un acte administratif par des membres de la Résistance armée ayant permis la libération de quelques uns des leurs emprisonnés dans la citadelle de Sisteron en octobre 1943. Le « faux authentique » a eu par la suite des conséquences pénibles sur la reconnaissance en tant que fait de résistance de cette libération. L’auteur à propos de ce faux authentique acte administratif écrit : « Tant qu’on le prend en lui-même comme un fait brut, décisif, il ment. Quand on s’interroge sur ce qu’il cache, c'est- à-dire sur la façon dont, derrière son apparence lisse, le document dissimule la série des actes humains orientés qui l’ont construit, fabriqué pour réaliser un projet, c’est alors et seulement qu’il jette un peu de lumière sur un moment de l’histoire de la Résistance »156.

Sur le plan scientifique, dans un contexte historique totalement différent, considérant malgré tout que l’événement forme un bloc, modestement, on en déduit la nécessité de mixer et articuler les sources entre elles. C’est cette garantie que nous prenons en recourant aux entretiens pour compléter notre enquête.

Sources orales

Le recours aux entretiens ne va pas non plus sans controverse157. Ils sont cependant un outil incontournable pour accéder au réel158, si l’on s’entoure de quelques précautions d’usages. Ainsi, les entretiens semi directifs, individuels ou collectifs, d’une durée comprise entre quarante minutes et trois heures, sont enregistrés puis retranscrits et annexés au mémoire de doctorat dans un document exprès. Ils ont non seulement permis de resituer le processus de développement territorial dans son historicité, mais ils ont été un des éléments d’analyse des pratiques quotidiennes des acteurs du processus étudié. A cet effet, les entretiens ont tous été précédés d’un guide envoyé à la personne interviewée, lui autorisant un délai raisonnable de préparation. Certaines de ces personnes allant jusqu’à dire que ce moment réflexif sur leur propre pratique leur a été utile pour donner du sens à leur travail. Quelques exemplaires de ces documents préparatoires aux entretiens figurent dans le relevé annexé. Pour des raisons pratiques d’enregistrement et de disponibilités des interviewés, les entretiens se sont déroulés dans locaux où ceux-ci exercent leur profession ou remplissent leur mission, à l’exception de deux rendez vous dans un lieu public avec les présidents démissionnaires du Conseil de développement du Beaujolais. Comme convenu avec les personnes interrogées, toutes les citations d’entretiens sont anonymes : seuls les numéros d’entretien et leurs dates sont indiqués dans le corps de la thèse, en renvoi au document annexé.

Sur un total de cinquante deux entretiens qui se sont déroulés entre Février 2003159 et Décembre 2008, quarante huit ont été consignés et retranscrits dans un document annexe au mémoire de thèse. L’absence des quatre retranscriptions s’explique par les raisons suivantes :

Le premier, en date du 17 février 2003 est un entretien exploratoire avec un chargé de mission du Pays Beaujolais. C’est un entretien de rodage et une recherche de contacts et de documents. Il se traduit par une liste de personnes à joindre, de quelques éléments cartographiques et de quelques informations sur le plan d’action à venir. Le deuxième entretien exploratoire, à la suite des contacts identifiés est une impasse. La personne interviewée chargée de l’action sociale au sein de l’antenne de la Caf de Villefranche sur Saône devait fournir des informations sur une éventuelle territorialisation de l’action sociale au sein d’une institution dont l’échelle territoriale de compétence est le Département. La titulaire absente, la remplaçante était peu informée du plan d’action prévu au Pays. Mais elle a surtout permis d’éviter de prendre une direction hasardeuse sur la territorialisation des services publics inexistante à cette époque.

Les deux autres entretiens ne sont pas retranscrits en raison de la défaillance des cassettes magnétiques d’enregistrements. L’un s’est déroulé le 19 mai 2004 avec la correspondante du Pays de la CCI du Roannais. L’autre, le 26 mai 2004 avec la responsable des CDPRA à la Direction des Politiques Territoriales de Rhône-Alpes. Ils ont été exploités mais ne figurent pas dans le corps de la thèse.

Pour commencer la campagne d’entretiens, le choix et l’ordre des interlocuteurs est important parce qu’il conditionne la compréhension du processus. Le terrain se dévoile et se construit progressivement au fil des lectures et discussions, aussi, nous est-il apparu de bonne pratique de favoriser les chargés de missions des Pays avant les élus en charge de leur direction. D’abord parce qu’entamer les entretiens par le président du conseil général de la Loire, par ailleurs ministre de la Justice ne nous est pas apparu comme la meilleure idée ! D’une part pour l’apprenti chercheur mieux vaut se rôder sur des acteurs plus disponibles et au registre d’action et de discours moins étendus. D’autre part la crédibilité et l’utilité des informations recueillies ne va pas forcément avec le rang hiérarchique des personnes entendues. Enfin les agents de développement sont « l’acteur nodal type » supposé fournir des informations à la fois politiques et techniques sur la recomposition territoriale à l’œuvre. C’est d’ailleurs vers certains d’entre eux que sur la durée de l’étude nous retournons pour suivre l’évolution des dispositifs. Ils sont des « acteurs baromètres » qui ont de l’ancienneté dans leur travail, connaissent les rouages du jeu politico-administratif. De ce fait, ils représentent une mémoire du développement territorial vers laquelle se tournent les nouveaux venus dans ce domaine de l’action publique. Leur expérience garantit une forme de lucidité dans l’analyse du jeu des acteurs et des changements réels de l’action publique.

A partir des données obtenues, une classification sommaire des interlocuteurs possibles a été établie sur la base de leur qualité d’acteur technique ou politique, qui représente de manière équilibrée les territoires et les dispositifs étudiés et les différentes institutions intervenant dans ce processus. Cette grille a été affinée en distinguant des catégories d’acteurs ruraux, urbains, socio-économiques, associatifs, représentant de la ville centre ou des petites communautés de communes, élus dominants, élus de second rang, ceci dans le souci d’établir une représentativité, qui à défaut d’être objective aurait le mérite d’être au moins équilibrée. La difficulté de la détermination de l’échantillon est grande tant les territoires de projet mobilisent des espaces et des acteurs multi-niveaux. Il a fallu trancher et identifier les « acteurs pertinents ». Nous avons principalement limité nos entretiens aux acteurs qui ont participé au processus. On pourrait les appeler « les dominants », en gardant toujours à l’esprit que la participation au processus peut parfois n’être qu’un alibi au service d’une recherche de légitimité. Ce qui explique le refus de certains syndicats de salariés ou des entreprises en tant qu’entités autonomes de production de prendre part à ce qui s’apparente parfois à un jeu de dupes. Au niveau intercommunal, la majorité des présidents d’EPCI qui constituent les Pays et les agents de développement, les chargés de mission qui y travaillent ont été interrogés. Le terme agent de développement est un intitulé générique désignant les salariés des collectivités locales et des Pays, fonctionnaires ou non, qui interviennent comme des généralistes de l’action publique . Les chargés de mission jouissent dans le meilleur des cas d’une définition de leur poste et de leurs tâches plus précise que les agents de développement. Toutefois les deux termes correspondent souvent à des réalités du travail quotidien identiques. Ils participent à la réalisation des diagnostics territoriaux, à la rédaction des chartes de développement et à la mise en relations des acteurs et institutions qui participent aux Pays.

On relève un nombre plus important d’agents de développement dans le Roannais que dans Beaujolais, l’intercommunalité de projet étant plus ancienne est mieux structurée dans le premier territoire. Les communautés de communes rurales du Beaujolais très récentes, à l’époque des premiers entretiens n’avaient pas embauché de techniciens. Au niveau régional, la Direction des Politiques Territoriale a été l’objet de notre attention, ainsi que les élus régionaux « référents » des Contrats de Développement de Pays en Rhône-Alpes et Contrats Territoriaux Emploi Formation. En ce qui concerne l’État, ce sont les acteurs des administrations déconcentrées qui participent à la territorialisation des politiques étudiées qui ont été entendus. Ces politiques publiques mobilisent un nombre important d’acteurs, hors Pays comme les chambres consulaires ou les Assedic. Les individus membres de ces institutions ayant collaboré à la mise en œuvre des contrats d’action publique territoriaux étudiés ont été entendus.

L'entretien au-delà de la technique est une relation sociale au sein de laquelle la façon de se présenter, de présenter son travail, l'empathie ou l'antipathie pour la personne questionnée, la plaisanterie, le recentrage de l'échange, le lieu de l'entretien comme le bureau du maire ou de l'agent de développement, sa durée sont autant de détails qui jouent pour amener la personne interrogée à livrer son expérience, son avis sans fard. La création de l’ambiance d’entretien demande du temps. Le renouvellement de l’exercice construit l’expérience de l’enquêteur, celle qui crée les conditions du « relâchement » de l’interlocuteur, à partir duquel l'entretien peut devenir une discussion, parfois un monologue où la parole s'est libérée. On atteint son but, quand par exemple, on fait sortir l'acteur de son jeu habituel d'homme politique en représentation qui manipule un langage à double détente, pour l'amener à des considérations exprimées sans trop de circonvolutions.

Enfin, les discussions informelles ou les conversations téléphoniques non retranscrites ont également complété les sources orales. Leur statut est ambigu. Elles sont utiles à la compréhension du jeu d’acteurs, dans le sens où elles recoupent d’autres sources et permettent de donner de nouvelles directions d’investigation. Elles sont prises en compte dans le travail de restitution, mais ne sont pas citées dans le corps du rapport de thèse. Par exemple, les appels téléphoniques à deux anciens membres fondateurs de l’Association Rhône-Alpes des professionnels du Développement Économique Locale (ARADEL) ont été utiles à la compréhension de l’origine et de l’évolution de cette association, essentielle à la formation d’un corpus de savoirs du développement territorial. Mais ils ne sont pas cités dans la rédaction.

Notes
151.

BECKER H.S., Les ficelles du métier .op. cit. p 130. Comme l’écrit l’auteur avec humour, une thèse est une activité pratique qu’il faut bien finir un jour !

152.

Ibidem p 42, « Nous autres sociologues attribuons toujours, implicitement ou explicitement, un point de vue, une perspective, et des motifs aux personnes dont nous analysons les actes. Nous décrivons toujours, par exemple le sens que les personnes que nous avons étudiées donnent aux événements auxquels elles participent. La seule question, dès lors, n’est pas de savoir si oui ou on nous devrions faire ça, mais bien de savoir avec quelle justesse et précision nous le faisons. Nous pouvons – et de nombreux sociologues le font- rassembler des données sur le sens que les gens donnent aux choses. Nous découvrons alors –avec une précision, qui sans être absolue, est cependant supérieure à zéro- ce que les gens croient faire, comment ils interprètent les objets, les événements et les gens qu’ils côtoient dans leur vie. Nous le faisons en parlant avec eux au cours d’entretiens formels et informels ou lors de rapides échanges lorsque nous participons avec eux aux activités ordinaires que nous observons ; (…). Plus on s’approche des conditions dans lesquelles ils donnent effectivement et réellement du sens aux objets et aux événements, plus notre description de ce sens sera juste et précise »..

153.

VERNANT J.P. La traversée des frontières. Entre mythes et politique II, Librairie du XXème siècle, Seuil, 2004, 189 p.

154.

En particulier l’admirable et émouvant chapitre premier intitulé « Un temps insoumis », p 17-59.

155.

Ibidem p 28-41.

156.

Ibidem p 46-47.

157.

BONGRAND P. LABORIER P. « L’entretien dans l’analyse des politiques publiques : un impensé méthodologique ? » Revue française de science politique vol 55, n°1, février 2005, p 73-111.

158.

PINSON G., SALA PALA V. « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ? », Revue Française de science politique, vol 57, n°5, octobre 2007, p 555-597.

159.

Nous avons intégré une quinzaine d’entretiens conduits lors de notre mémoire de DEA. L’émergence des territoires de projet : Les pays Beaujolais et Roannais entre action publique concertée et domination., 2004, 137 p.

Cette intégration des entretiens de DEA à notre travail de doctorat nous permet de rendre compte des évolutions du CDPRA sur la totalité de la procédure.